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au second, si son voyage à Venise n’est pas clairement établi, nous savons du moins qu’il achetait à grand prix les gravures de Marc-Antoine Raimondi. Or, s’il eût dédaigné l’Italie, comment expliquer cette passion constante? Laissons donc en paix, livrons à l’oubli toutes les déclamations sur l’originalité, sur la liberté du génie, dont nous sommes étourdis depuis trop longtemps, et plaçons notre confiance dans la force du bon sens, dans la force de la vérité!

Toutes les œuvres de l’école italienne, à ne parler que des cinq grands maîtres, n’ont pas la même valeur et ne peuvent prétendre à la même autorité. Léonard, Michel-Ange et Raphaël dominent Titien et Allegri. Il est également vrai que Léonard et Michel-Ange dominent Raphaël lui-même par l’expression de la forme. Si maintenant l’on prend à part chacun de ces puissans génies, on les trouve parfois inégaux à eux-mêmes dans leur fécondité. Ainsi la voûte et les pendentifs de la chapelle Sixtine, sous le rapport du goût et de la composition, sont supérieurs au Jugement dernier, qu’on est pourtant habitué à considérer comme l’œuvre la plus parfaite de Michel-Ange. Ainsi l’Adoration des Mages et la Méduse ne donnent pas la mesure de Léonard, il faut la chercher dans la Cène de Sainte-Marie-des-Graces, qui, malgré les blessures qu’elle a reçues du temps et des restaurateurs maladroits qui voulaient la rajeunir, se prête encore à l’étude et ne trompe pas l’espérance des visiteurs. Les chambres du Vatican, qu’on met souvent sur la même ligne que les loges, ne sauraient leur être comparées sans injustice. Quiconque a visité le Vatican connaît l’intervalle qui les sépare. Non-seulement le Sanzio n’a peint de sa main que la première des cinquante-deux compositions qui forment la décoration des loges, mais il n’attachait pas à ces compositions la même importance qu’aux chambres qui portent son nom. On objectera peut-être la collaboration de ses élèves à cette seconde série comme à la première; on citera la Bataille de Constantin, peinte en entier de la main de Jules Romain. Je répondrai que pour juger Raphaël il faut prendre la salle dite de la Signature, où se trouvent la Philosophie, la Théologie, la Poésie et la Jurisprudence. L’Incendie du bourg, malgré les admirables parties qu’il renferme, laisse encore deviner trop clairement le pinceau de Jules Romain. Quant à la Farnésine, elle ne saurait soutenir la comparaison avec la salle de la Signature. Le Triomphe de Galathée est sans doute une œuvre charmante, l’histoire de Psyché est une invention pleine de grâce, mais la Farnésine ne présente rien d’aussi savant que l’École d’Athènes, d’une beauté aussi pure que le Parnasse.

Entre les œuvres de Titien, il y a aussi un choix à faire. L’Assunta placée à l’Académie de Venise est généralement acceptée comme son chef-d’œuvre, et certes mon intention n’est pas de rabaisser le