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occupé, à savoir l’Espagne et l’Italie, la Belgique et la Hollande, ont-elles surpassé ou seulement égalé leurs précédens esthétiques? Ce n’est pas à moi qu’il appartient de répondre, mais à la galerie du Louvre. Rabaisser les vivans en les comparant aux morts est un Passe-temps puéril, et c’est pour cela que les vieillards s’y complaisent; mais il y a profit à mettre en regard le présent et le passé sans esprit de dénigrement. Or, je le demande à tout homme de bonne foi, est-ce que la Campine de M. Robbe peut se placer à côté des Ruysdaël et des Wouvermans? Est-ce que les effets de lampe de M. Kiers peuvent être opposés au Tobie de Rembrandt? Quant à MM. Madrazo et Podesti, j’imagine que, malgré les éloges qui leur sont prodigués dans leur pays, ils ne se prennent pas pour les héritiers de Murillo et de Raphaël. J’espère qu’il se rencontre parmi leurs amis, parmi ceux mêmes qui les louent, des hommes assez sensés pour leur rappeler la distance qui les sépare de ces maîtres à jamais glorieux. Réveiller le souvenir de ces grands noms, ce n’est pas décourager la génération présente, c’est au contraire lui montrer le but qu’elle doit se proposer. Ce qu’ont pu faire les générations endormies dans le tombeau, pourquoi la génération présente ne le ferait-elle pas? N’a-t-elle pas reçu du ciel les mêmes facultés? Pourquoi, dans le domaine de l’art, aujourd’hui et demain ne vaudraient-ils pas autant qu’hier? L’histoire, image du passé, ne doit servir qu’à expliquer et non à condamner le présent. Signaler les déviations du goût ou les déviations du sens moral, ce n’est pas jeter l’anathème à son temps, mais l’avertir qu’il est placé sur une pente dangereuse. Les peintres et les statuaires fourvoyés peuvent se retourner du côté de la vérité, comme les caractères chancelans du côté de la dignité. C’est aux spectateurs désintéressés des événemens, aux contemplateurs des œuvres accomplies, qu’il appartient d’avertir les nations et les artistes engagés dans la mêlée, — et nous avons choisi le rôle de contemplateur.


GUSTAVE PLANCHE.