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— À propos, dit le maréchal, c’est demain marché ; il faudra que tu me portes cette montre chez l’horloger ; un jour elle va, un jour elle ne va pas ; elle est comme la tête d’une femme, — pleine de cigales ; on dirait les affaires du gouvernement.

Espérit ouvrit la montre et toucha les ressorts avec une paille. — Ce n’est rien, dit-il, ta montre n’a rien à faire à la ville, je m’en charge ; entrons à la tuilerie.

— Bien parlé, dit Cayolis ; les médecins des montres, vois-tu, sont comme ceux des gens, ils leur donnent des maladies. Eh bien ! en avant au château des Saffras ! Écoute un peu, Spiriton, je me sens en voix :

Léonor, mon amour brave
L’univers et Dieu pour moi,
        Pour toi…

On revint aux Saffras ; le terrailler prit ses pinces et remit la montre en état.

— Déjà ! dit Cayolis, tu es un habile homme. Voilà mon oignon qui chante, gai comme un pinson. Eh ! eh ! reprit-il d’un air fin et goguenard en poussant Espérit par le bras, eh ! eh ! c’est plus facile à faire marcher qu’une comédie !

— Eh bien ! parlons-en de cette comédie, répondit le terrailler. Pourquoi n’en es-tu pas ? Je ne t’ai pas cherché, mais puisque tu me provoques, je veux en avoir le cœur net. Il faut que tout soit tiré au grand clair. Allons ! pourquoi n’en es-tu pas ?

— Mauvaise affaire, dit Cayolis, mauvaise affaire ! Assieds-toi là, tu vas m’entendre raisonner ; mais commence par descendre cette bouteille qui flâne à ta fenêtre, le soleil pourrait l’enrhumer. Très bien. Cabantoux, rince les verres ; maintenant verse, Spiriton, et tais-toi. Pas un mot ou tu es un homme perdu. Mauvaise affaire que la tragédie, mauvaise affaire ! On n’en joue plus à Bordeaux ; j’aime mieux la Muette. Moi, je suis comme les linottes en cage, j’ai la pépie, verse encore ; ce coudounat se fait. Spiriton, Spiriton, tu n’entends rien au théâtre ; je vais t’expliquer les choses, mais surtout tais-toi. Je n’aime pas qu’on me coupe le fil quand je vais dire du nom eau. J’ai la parole.

Cayolis avait la parole facile, et l’eau de coing lui déliait la langue. Il raconta ses voyages, ses bons mots, ses aventures ; pendant une heure, il discourut tout à l’aise sur la Muette, les jeux floraux, la façade du théâtre de Bordeaux, le commerce colonial, les chœurs de Toulouse, la politique secrète de l’Autriche. Quand la bouteille fut vidée, Ménicon s’arrêta et dit au terrailler : — A toi maintenant ! Cayolis t’écoute.

Espérit prit la parole ; Cayolis ne songeait pas à le contredire : il