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— Nous sommes à vos ordres, dit Espérit, et nous venions prendre votre heure.

— À l’instant même, répondit M. Cazalis : ma sœur ne rentrera qu’à la nuit, nous avons toute la journée devant nous ; mais, si cela marche, nous pourrons doubler la répétition. Allons, vivement ; donne-moi le bouquin, prenez place et commençons.

On lut le premier acte. M. Cazalis n’eut que des éloges pour Marcel : mais il ne ménagea pas les leçons et les critiques au terrailler. Ce n’était pas sans raison : il était difficile de rencontrer un plus singulier Marc-Antoine. Espérit se laissa malmener sans rien dire ; le succès de son ami le remplissait de joie et d’orgueil.

Marcel lisait avec goût, sans accent, dans un sentiment vrai, un peu froidement au dire de M. Cazalis, qui ne craignait pas les grands éclats de voix et les pompes du débit. À ce jeu fin et délicat il aurait préféré sans doute la déclamation solennelle et le grand style des vieux classiques ; mais cette réserve même le surprit, il fut surtout frappé de la simplicité de Marcel, de son naturel et de l’aisance de ses manières, et comme il avait l’habitude de penser tout haut, il lui dit à la fin de l’acte : — Mais c’est très bien, mon ami ! c’est très bien… Là, franchement, n’y a-t-il pas quelque ruse sous jeu ? Est-il bien sûr, monsieur, que vous soyez un paysan ? Mais alors pourquoi cette veste ? Je ne sais que supposer…

— Ne supposez rien, lui dit en riant Marcel, je m’appelle Sendric, et je suis le fils du boulanger de Seyanne.

— Impossible ! s’écria le lieutenant.

À peine ce mot lui était-il échappé, qu’il en eut honte comme d’une inconvenance, et, dans son trouble, il crut tout réparer en ajoutant :

— Mais ces manières, cette distinction ? Par qui diable avez-vous été élevé ?

— La belle question ! répondit Espérit, par sa mère, la Damiane ! Le lieutenant se taisait dans la crainte de commettre une nouvelle sottise. Mlle ’Sabine, qui filait à la fenêtre, se leva vivement, et s’approcha de Marcel pour lui présenter les excuses de M. Cazalis ; mais elle se troubla à son tour, rougit comme une cerise, et s’arrêta près de la table sans pouvoir prononcer un seul mot. Le lieutenant ne savait plus quelle contenance faire. Dans sa confusion, il se levait, s’asseyait, tournait sa tabatière, et regardait sa fille pour qu’elle lui vînt en aide. Mlle Sabine n’osait ni s’avancer ni relever la tête ; elle avait repris sa quenouille, et filait très vite ; mais ses doigts agiles se prenaient dans la bourre de soie, l’emmêlaient et cassaient les fils. Enfin le bonhomme prit un grand parti ; il s’avança vers Marcel, et lui tendit la main :

— Monsieur Sendric, dit-il d’une voix très émue, je suis le