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il est raidi. Nous dînons à quatre ; votre neveu aura donc tout le temps nécessaire pour se reposer et s’équiper. Je vous déclare que je ne veux pas entendre une objection. Ecrirons, écrivons. Vous êtes mon prisonnier et je vous garde. Vous n’avez pas encore visité mon nouveau plantier de grenache, et j’ai à vous consulter pour mes semis de melon ; ainsi c’est entendu. Nous aurons aujourd’hui le notaire Giniez, M. Lajarije, Corbin l’aîné…

— Oh ! celui-là me va, dit le maire. Quel rude homme ! une santé de fer. En voilà un bâti à chaux et à sable ! Et son frère qui n’a qu’un souffle, que devient-il ce petit Corbin, avec ses inventions de lunatique ? Veut-il toujours nous faire voyager en ballon ?

— Toujours, dit M. Cazalis, et nous l’aurons tout à l’heure avec le vice-président du cercle. Il vous expliquera son système. Nous aurons aussi notre ami le contrôleur Dulimbert.

— C’est un homme bien aimable, dit le maire.

En ce moment, le petit pâtre entra.

— Ah ! te voilà, Cascayot, dit le lieutenant, arrive à l’ordre.

Cascayot fit deux sauts de carpe par manière de révérence, et retomba sur ses mains en arbre droit. Pendant que le petit pâtre cabriolait autour de la table, le maire termina sa lettre lentement, péniblement, non sans songer au secrétaire de la commune, qui d’ordinaire lui évitait ces rudes corvées.

— Voilà qui est bien, dit M. Cazalis ; maintenant, Cascayot, mets tes jambes à ton cou, et file sur Lamanosc comme l’éclair ; tu auras la pièce.

— Monsieur Marras, reprit-il, je suis de votre avis ; M. Dulimbert est un homme bien aimable.

— Un homme charmant à table, dit le maire.

— C’est le mot, répondit le lieutenant, un parfait convive.

De son côté, la Zounet disait en hachant ses fines herbes : — C’est un homme fort aimable que monsieur le contrôleur, et qui sait se tenir à table, — un homme bien ! Comme il fait attention à tout, comme il apprécie tout ! et toujours un mot d’éloge si à propos ! Il m’agrée fort de lui donner à dîner, et ça lui profite. Il n’est pas comme son ami le notaire Giniez, qui toujours rit jaune et qui reste maigre comme un coucou. Il a pourtant les dents longues, ce mauvais Giniez. En fait-il des malheureux avec ses fonds perdus ! Il est déjà rentré vingt fois dans son argent, et Dieu sait quand il mourra. Ah ! ces fonds perdus, c’est le malheur du pays.

— Taisez-vous donc, s’écria Mlle  Blandine, taisez-vous, langue de vipère.

— Me taire ! dit la Zounet ; moi, me taire ! quand je serai au cimetière J’ai le temps, les vers ne m’ont pas encore mangé la langue.