Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cours par les bureaux de bienfaisance. Le gouvernement, par les moyens dont il dispose, cherche à subvenir à une nécessité du moment, à une crise accidentelle, née de l’insuffisance d’une récolte ; mais à ce fait transitoire, qui parait suffisamment s’expliquer par un déficit réel dans la production du blé en France, se lie au fond un problème économique plus général : c’est l’élévation toujours croissante du prix des denrées alimentaires depuis quelques années. Or à quoi tient ce phénomène ? Il tient sans doute à bien des causes, à la surexcitation de tous les besoins, à la transformation des habitudes et des mœurs, à un développement de la consommation supérieur à celui de la production, surtout peut-être à l’infériorité de l’agriculture comparativement à l’essor immense de toutes les entreprises industrielles et commerciales. Ce qui souffre réellement en France, c’est l’agriculture malgré les progrès qu’elle a pu faire, et elle souffre par deux motifs entre bien d’autres. D’abord les opérations financières démesurées, la soif d’un gain rapide, le besoin de tenter la fortune, jettent l’argent dans toute sorte de spéculations, où le plus grand nombre ne trouve que déceptions, où quelques financiers seuls s’enrichissent en se faisant de leur habileté une puissance équivoque. En outre l’accroissement de tous les travaux industriels enlève des bras à l’agriculture et attire les habitans des campagnes dans des centres où ils se dégoûtent du labeur agricole, où ils contractent des habitudes nouvelles et se dépravent, de sorte que l’argent et les bras s’éloignent de la terre. Ces tendances ne sont pas seulement un fait économique ordinaire, elles faussent l’activité de la France, qui devrait se tourner principalement vers l’agriculture, comme la surexcitation de tous les instincts matériels fausse son génie sous un autre rapport, en atteignant dans sa source la vie intellectuelle.

L’intelligence aussi, en effet, est une des forces naturelles de la France ; elle est un des ressorts de sa civilisation expansive, un de ses plus puissans moyens d’action dans le monde, et c’est parce que l’intelligence à ce caractère merveilleux et éclatant que tout ce qui la déprime, la fausse ou l’avilit est une atténuation de l’ascendant de la France. D’où est venue l’influence intellectuelle de notre pays, si ce n’est de la perfection de son goût, de la rectitude de ses idées et de là clarté de son langage ? On rapporte parfois au XVIIIe siècle le rayonnement du génie français. Le XVIIIe siècle n’a fait que recueillir en ceci l’héritage de l’époque qui l’avait précédé. C’est le XVIIe siècle qui a créé l’ascendant du génie, de la langue et des mœurs de la France. Au siècle qui l’a suivi, au contraire, remontent bien des déviations qui n’ont fait que s’aggraver, la corruption de la langue et du goût, l’altération du sens littéraire, cette fausse éloquence qui n’est qu’une vide déclamation, et même beaucoup d’habitudes qui ont fini par envabir la vie intellectuelle moderne. L’esprit littéraire a pris surtout ce caractère de précipitation et de fièvre d’un siècle où tout se hâte ; il invente peu, il recueille des impressions, il observe ; il se mêle aux aventures d’un temps qui en a eu beaucoup, subissant toutes les influences qui se succèdent, et s’arrêtant parfois pour se demander vers quelle direction il est décidément entraîné. Si l’inspiration spontanée lui manque, il se complaît aux révélations de l’histoire, à l’exhumation des documens, sauf à les interpréter à sa manière, souvent a ce toute