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pas d’avoir son côté curieux. Il faut se rendre compte de l’état singulier et obscur de ce pays, soumis depuis quelques années au pouvoir d’un chef militaire, le général Belzu, qui s’appelle président constitutionnel, et qui en réalité est un dictateur comme il y en a beaucoup en Amérique. La Bolivie, gouvernée par le généra] Belzu, s’est trouvée dans ces derniers temps aux prises avec deux genres de difficultés : elle avait à l’aire face à la guerre que lui avait déclarée le Pérou sous la présidence du général Echenique, et elle était agitée en même temps par des tentatives incessantes de révolutions intérieures. Le général Echenique étant lui-même renversé au Pérou il y a quelques mois, le danger de la guerre disparaissait ; mais il restait les tentatives de révolution, qui prenaient chaque jour un caractère plus grave. Fatigué d’avoir à lutter sans cesse, désirant peut-être aussi se faire donner plus de pouvoirs, bien que dans le fait il les eût tous, Belzu avait recours, au commencement de cette année, à un expédient dont le général Bosas s’est servi souvent avec succès à Buenos-Ayres : il réunissait le congrès et se déclarait décidé à abdiquer le pouvoir. Ce qu’il y avait de plus curieux du reste, c’était le message par lequel il motivait sa résolution. Belzu faisait le plus triste et le plus sanglant tableau de la situation du pays ; il montrait l’anarchie se répandant partout, l’égoïsme dominant tout sentiment patriotique, la démoralisation gagnant toutes les classes, l’oisiveté laissant le sol stérile, la manie des emplois dépravant tous les cœurs et minant tout ordre social, les femmes elles-mêmes se livrant aux agitations révolutionnaires ; bref, il déclarait cette société ingouvernable, et c’est pourquoi il offrait sa démission, sous-entendant sans doute que la dictature était devenue nécessaire. Le congrès n’accepta pas la démission de Belzu ; mais il ne lui offrit pas la dictature qu’il demandait implicitement, et comme les pouvoirs réguliers du président allaient bientôt expirer, il restait à élire un nouveau chef de l’état.

Ce ne sont point les prétend ans qui ont manqué, comme bien on pense. Il y avait en première ligne le général Santa-Cruz, qui a longtemps gouverné la Bolivie, qui a été un certain moment le protecteur de l’éphémère confédération péru-bolivienne, et a depuis rempli une mission diplomatique en Europe au nom de divers pays de l’Amérique. Le général Santa-Cruz adressait de Paris un manifeste à ses compatriotes, et il se rendait lui-même à Buenos-Ayres pour se rapprocher de son pays. Le général Santa-Cruz a fait, il faut le dire, une campagne malheureuse. Il n’a pas vu que, n’y eût-il point même d’autre obstacle, il allait trouver des candidats qui lui disputeraient le pouvoir : de ce nombre était le docteur Linarès, qui paraissait avoir des chances sérieuses ; mais en outre il y avait une difficulté bien autrement grave, c’est que Belzu devait songer à garder le pouvoir, soit pour lui, soit pour quelqu’un des siens. C’est ce qui est arrivé en effet. Le président bolivien a fait élire à sa place son gendre, le général Cordova, et il n’a point renoncé probablement à ressaisir quelque jour pour lui-même l’autorité suprême. Maintenant le général Belzu réussira-t-il à établir dans la Bolivie une sorte de dynastie dictatoriale, comme l’ont fait les Monagas dans le Venezuela ? Les tentatives de révolution qui ne manqueront pas de se renouveler triompheront-elles au contraire ? C’est le malheur de ces républi-