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d’administration, qui paraissent en général patronés par des peelites et notamment par M. Gladstone. C’est ce concours d’autorités fort différentes qui fait pour nous l’intérêt de la question de la réforme administrative.

Sous l’influence de l’opposition, à la voix de MM. Layard et Lyndsay, une association s’est formée dans l’intérêt de la cause ; elle doit la servir par les moyens d’usage : souscriptions, meetings, rapports, pétitions. Elle a débuté par une grande assemblée dans le théâtre de Drury-Lane, où des harangues successives ont proclamé sous toutes les formes le nouveau cri : The right men in the right places, et elle a élu domicile près du Strand, King William-Street. C’est ainsi que l’idée d’une réforme administrative a été lancée dans le public ; mais en elle-même elle venait de plus loin. La première attaque un peu vive est partie d’un écrivain qui ne dit rien à demi et qui cherche le neuf tantôt par un besoin sincère de sa forte imagination, tantôt par un motif moins ingénu, l’amour de l’effet. On dirait que sa fantaisie le conduit plus que sa raison. Il lui faut absolument trouver à contredire et à blâmer dans son pays et dans son temps, et pourvu qu’il se passionne et qu’il surprenne, il n’est pas fort difficile dans le choix des moyens ni des sujets. Obscur, incohérent, outré, il rachète tout par une verve vraie et par une originalité naturelle que ne réussit point à compromettre sa singularité cherchée. Le lecteur se rappelle-t-il une certaine brochure politique de Balzac, ou seulement sa manière de parler gouvernement et administration dans ses romans, et de trancher avec une intrépidité fabuleuse sur les choses et les personnes, comme si nul avant lui ne s’était douté de rien[1] ? Il y a du Balzac dans la manière de M. Carlyle. Voyez son pamphlet intitulé : Downing-Street, 1850. C’est là que tous les offices de Downing-Street, c’est-à-dire les bureaux des principaux ministères, sont définis par ce nom : nids de chouettes (owleries). Ce sont, dit l’auteur, de singulières entités ; qui les a faites ? Nul ne le sait. A juger par le résultat, il n’y a que deux suppositions : l’ouvrage est mal fait, ou c’est un mauvais ouvrage à faire. Le plus stupide subalterne s’en acquitterait aussi bien que toute la cohorte du red tapeism[2]. (C’est là que je crois avoir vu pour la première fois ce mot qu’on lit partout aujourd’hui et par lequel il faut entendre : routine bureaucratique.) Mais qui ne sait la puissance de l’humaine stupidité une fois qu’elle s’est bien installée ? L’hercule réformateur, sir Robert Peel, ou tout

  1. Dans un des documens de l’enquête sur l’administration, on a très sérieusement cité une page de Balzac extraite, je crois, du roman intitulé les Employés.
  2. Le lacet rouge, red tape, sert à faufiler ensemble les pièces administratives, et de là l’adjectif red tapish pour désigner les gens de bureau.