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satisfaire. L’esprit de réforme agissant pour le plus grand intérêt de la communauté, voilà l’esprit qu’elle souhaite et croit voir en grande partie réalisé dans le gouvernement. Ses chefs sont plutôt du parti du pouvoir. Sir William Molesworth publiait en 1839 une belle édition des œuvres du philosophe Hobbes. Il la dédiait à son ami M. Grote, le savant historien et l’habile vengeur de la démocratie grecque, et quod prœcipue laudi est, pro œquali universorum civium libertate adversus optimatium dominatum propugnatori acerrimo et constantissimo. Or sir William Molesworth est ministre depuis bientôt deux ans. Il a remplacé tout à l’heure lord John Russell aux colonies, et sa popularité est entière, et pas une voix ne s’est élevée pour l’accuser d’avoir cessé de mériter l’éloge qu’il décernait à son ami M. Grote : tant il est vrai que l’esprit libéral et réformateur du gouvernement est tout ce qu’il faut à la démocratie britannique.

Mais si l’aristocratie n’a été touchée que pour avoir eu sa part du patronage, c’est donc au patronage qu’on en veut. Le sens du mot est connu. Quand on parle du patronage du premier lord de la trésorerie, on entend parler du nombre de nominations dont il dispose. Or, ce droit, les ministres sont accusés d’en user moins pour le bien public que pour récompenser leurs cliens ou pour s’en faire de nouveaux. En d’autres termes, les rapports de famille, de société, de parti, entrent pour beaucoup dans la distribution des places. Cela est possible; je dis plus, cela est certain. A moins d’ouvrir au hasard an almanach des adresses, comment mettre en place des gens qui ne seraient connus ni du ministre ni de personne? Les emplois un peu importans, un peu lucratifs, ne sont pas fort nombreux. Admettons qu’ils soient distribués dans un cercle très-resserré. De quoi se plaint-on? Est-ce d’en être privé? Le dommage n’est pas étendu, car la proie à partager est petite. Mais la passion des places se serait-elle développée dans le pays, ou veut-on l’y introduire? On se plaint que ces emplois ne soient pas assez recherchés, et l’on voudrait en augmenter l’éclat et le profit pour les rendre plus dignes de l’ambition du talent. Dieu préserve l’Angleterre d’une révolution administrative qui deviendrait ainsi une révolution sociale ! Dieu conserve à ce noble pays le premier des biens, l’indépendance individuelle! Le patronage n’est sérieusement critiquable que si les places sont distribuées contrairement à l’intérêt public. Or c’est à ce personnel composé par le patronage qu’appartiennent sir Charles Trevelyan, sir Stafford Northcote, sir James Stephen, M. Taylor, M. Chadwick, M. Rowland Hill, etc., tous ces fonctionnaires dont les réformistes invoquent l’autorité; le mal n’est donc pas si grand. Qu’il existe cependant et que le patronage ait des abus, n’en doutez pas. Posez des conditions de capacité à l’entrée de la carrière, posez des règles d’avancement; que l’administration ait comme l’armée des états de