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que leur fidélité à eux-mêmes. Et c’est cela même que l’on prétend changer. Ce sont vieilleries dont on se lasse, et lorsqu’il y a des partis dans toute l’Europe, on pense toucher à l’âge où il n’y en aura plus en Angleterre. On imagine un temps où il n’y aura plus deux esprits dans la société, l’un conservateur, l’autre réformateur, ayant chacun leurs représentans. On aspire apparemment au règne de l’unanimité. On oublie donc comment un écrivain célèbre a défini l’unanimité.

Je reconnais que la réforme parlementaire, ou plutôt l’esprit du temps, a modifié les partis; mais ce n’est pas un fait nouveau, et depuis deux cents ans ils se sont incessamment transformés. Il est vrai que les partis moins divisés au fond, plus obligés de compter avec l’opinion publique, sont moins libres dans leurs ressentimens et leurs vengeances, c’est-à-dire que l’esprit de parti est moins violent et qu’il connaît le frein. La classe moyenne, à laquelle la réforme a donné dans la chambre cent cinquante sièges de plus, enlevés généralement à une oligarchie de propriétaires, a, dit-on, deux grands défauts : elle est demandeuse, et elle a besoin de l’être pour s’assurer sa clientèle électorale; puis elle est peu politique, et ne fournit point d’hommes d’état. Les élections, en devenant franches et réelles, amènent dans la chambre des hommes qui se sont distingués dans leur profession, c’est-à-dire des hommes d’un mérite spécial et d’un âge mûr. Les jeunes ambitieux, les inconnus qui ont du talent et de l’avenir se voient fermer les portes de Westminster. Ceci ramènerait en bonne logique à l’aristocratie dont on se méfie pourtant. Mais quand l’armée sera mieux composée et un peu plus instruite, quand les soldats seront moins grossiers et les officiers plus soldats, quand les bureaux seront remplis d’un personnel plus lettré, les hommes d’état n’abonderont pas davantage. Aussi M. Greg a-t-il inventé cette aristocratie au choix de la couronne, cette institution de cadets politiques qui siégeraient dans la chambre comme des apprentis virtuoses destinés à la charmer par l’esprit et la parole. Y a-t-il bien songé? ne voit-il pas quelle proie nouvelle il offre aux partis? Comment supposer que des ministres iront se donner de gaieté de cœur des rivaux ou des adversaires, et négligeront un tel moyen d’accroître leur clientèle et celle de leurs amis? Si l’on dit que le mérite éclatant, que le jugement du public leur forcera la main, il faut alors que l’opinion, bon juge du mérite, le distingue de bonne heure, et n’attende pas qu’il se prouve pour l’élever. Et pourquoi donc alors ne l’élèverait-elle pas d’elle-même par la voie de l’élection? Pourquoi l’accuse-t-on de méconnaître les hommes d’avenir et de n’estimer que les capacités constatées dans les professions privées? Dans tous les systèmes, on a besoin en dernier ressort de recourir à l’esprit public; s’il est aveugle, égaré, engourdi, toute réforme est