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par cet acte de piraterie. Yousef conserva rancune de cette affaire à M. Rousseau, qui était alors notre consul-général à Tripoli. Le jour de la fête du roi, il crut avoir trouvé une occasion de lui être personnellement désagréable ; mais il s’y prit si gauchement, que sa conduite put et dut paraître une insolence dirigée contre le gouvernement français. M. Rousseau, l’ayant pris ainsi, amena son pavillon et s’embarqua. Le pacha, fort effrayé alors des suites que pouvait avoir cette affaire, descendit pour l’étouffer aux plus humbles réparations ; mais sa haine pour le consul s’en accrut d’autant : une occasion de la satisfaire se présenta un peu plus tard, et il ne la laissa pas échapper.

Il n’est personne qui ne connaisse les voyages et la fin déplorable du major anglais Laing, massacré par une bande de Fellatas à son retour de Tombouctou en 1826. Cette catastrophe fut d’abord connue de M. Rousseau, que ses habitudes d’orientaliste avaient mis en relations avec plusieurs Arabes lettrés, non-seulement de Tripoli, mais encore de l’intérieur, surtout de Ghadamès, par où arriva la nouvelle de la mort du major Laing. Le consul d’Angleterre refusa longtemps d’y croire ; mais lorsqu’il en eut enfin la conviction, il fit au pacha les plus étranges algarades, voulant le rendre responsable d’un crime commis, à plus de quatre cents lieues de son extrême frontière, par des individus appartenant à un peuple dont il connaissait à peine le nom. Le gouvernement anglais n’ayant pas approuvé les violences de son agent, celui-ci fut contraint de reprendre avec le pacha les relations officielles qu’il avait interrompues ; mais il se mit à le harceler pour qu’au moins il s’employât à la recherche des papiers du célèbre voyageur. Or un des correspondans arabes de M. Rousseau lui avait écrit que ces papiers avaient été détruits par les Fellatas. C’était là un fait probable dont notre consul ne crut pas devoir faire un mystère. Là-dessus de méchans esprits se mirent à édifier une infâme calomnie que le pacha accueillit avec avidité pour nuire à M. Rousseau et écarter les importunités du consul d’Angleterre. S’appuyant sur un odieux mensonge, il déclara que les papiers que l’on cherchait étaient entre les mains du consul de France, laissant entendre que cet agent pourrait bien ne pas être étranger à l’assassinat du major Laing. Le consul anglais, s’appuyant à son tour sur cette déclaration, réclama de M. Rousseau les papiers qu’on l’accusait d’avoir entre les mains. M. Rousseau indigné exigea sur-le-champ une rétractation solennelle du pacha, menaçant de quitter Tripoli, s’il ne la recevait pas avant la nuit. Cette menace étant restée sans effet, il amena son pavillon et s’embarqua pour Marseille.

Le rapport que le consul d’Angleterre fit à son gouvernement sur cette affaire était un acte d’accusation contre M. Rousseau. Le