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envoient pendant l’hiver à l’école et pendant l’été à la grande pêche. Quant au courage de ces hommes, il est inébranlable. Plus braves que les matelots qui naviguent pour le commerce, ils ne connaissent point le danger. L’histoire, si prodigue de récits quand il s’agit de batailles navales, de tueries sur l’eau, garde le silence dès qu’il s’agit des luttes pacifiques de l’homme avec les élémens. Il semble que les actes d’héroïsme perdent leurs droits à la célébrité du moment où ils deviennent utiles. Ne serait-il pas temps d’accorder mieux que l’oubli à ces populations intéressantes qui vont conquérir le bien-être, non pour elles-mêmes, hélas ! (car elles sont et restent pauvres), mais pour la société tout entière ? Parmi ces obscurs pêcheurs, il y a peut-être des Van Speyk anonymes dont le courage n’a manqué que d’une occasion pour se produire sur un théâtre plus vaste et plus éclairé. Ce que valent ces hommes, ce qu’ils ont essuyé de fatigues, combien de fois ils ont vu la mort face à face, l’Océan le sait, mais l’Océan n’en dit rien. De leur côté, ils n’en parlent guère : la mer et eux, ce sont des ennemis qui s’estiment en silence. Outre la bravoure, quelques-uns de ces hommes ont encore d’autres facultés qui étonnent. Bien qu’ignorans en général, une fois à la mer, ils deviennent d’excellens marins pratiques. On en voit même qui semblent doués d’un véritable sens navigateur, et chez lesquels ce don, aidé par l’expérience, supplée à l’absence de la théorie. Un armateur de Vlaardingen nous a montré un maître ou patron qui se promenait en veste et en sabots, et qui dans son genre était une espèce de Christophe Colomb. On lui avait dit il y a quelques années : « Il faut que tu ailles aux Indes, » et il y alla. Une autre fois, il trouva le chemin de la Californie. Aborder sur des terres connues avec si peu de lumières acquises, c’est presque les découvrir.

Ces mêmes bâtimens, qui ont fait deux voyages d’été pour la pêche du hareng, vont pendant l’hiver à la pêche du cabillaud (kabeljaauwvisscherij). Il est vrai que cela dépend un peu de l’âge du dogger ; quand un navire est trop vieux, il ne peut plus supporter le service d’hiver. L’équipage est de douze matelots qui reçoivent 2 et 1/2 pour 100 du produit ; le capitaine reçoit le double. La Mer du Nord est encore le théâtre de cette pêche, mais les bâtimens font voile cette fois du côté de l’Islande et du Doggersbank ; ils s’avancent jusqu’au 63e degré. Pour cette pêche, on n’emploie plus de filets : une corde d’une étendue considérable, garnie de crochets placés à quelque distance les uns des autres, sert à prendre le cabillaud. Les mêmes bâtimens et les mêmes hommes font trois ou quatre voyages en hiver. Ils rapportent le cabillaud à l’état frais ou salé. Pour le ramener vivant, chaque dogger a un réservoir à claires-voies dans lequel on jette le poisson, qui continue de nager et de recevoir l’eau