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bâtimens de pêcheurs français entrèrent dans les ports de la Hollande et achetèrent en fraude ce poisson, qu’on vendait à vil prix. Une telle industrie eut du succès, le nombre des bâtimens s’éleva bien vite à 319 ; mais le gouvernement français prit des mesures pour Déprimer ce commerce équivoque, qui s’éteignit. Le dédain que les Néerlandais témoignent pour le hareng frais du Zuiderzée tient à l’estime qu’ils professent pour le hareng de la grande pêche, estime justifiée sans doute, mais beaucoup trop exclusive, et qui a contribué jusqu’ici à déprécier une branche fructueuse de l’industrie nationale. Il ne faut point oublier que le poisson est trop souvent la viande du pauvre. Aussi, en dépit de l’interdiction lancée par les hautes classes, le hareng du Zuiderzée, longtemps victime des préférences accordées à son frère aîné, tend à reprendre le rang qui lui appartient sur l’échelle des produits maritimes. On connaît l’histoire d’Esaü et de Jacob. La pêche du hareng frais, longtemps mis hors la loi et privé en quelque sorte du droit de cité, est en progrès, tandis que la grande pêche demeure stationnaire, si même elle ne rétrograde point. À Monnikendam seulement, la valeur du hareng frais vendu à l’enchère en 1850 s’est élevée à 225,000 francs. Cette pêche se fait au moyen de bâtimens qu’on nomme botters, et qui sortent de divers points du Zuiderzée. L’équipage de chacun de ces bâtimens est ordinairement de trois hommes.

Le Zuiderzée présente, comme on voit, un grand théâtre de faits économiques. Un millier de bâtimens qui se livrent à la pêche du poisson frais se promènent nuit et jour sur cette mer intérieure, montés par 4,000 pêcheurs hollandais. Ce spectacle suffit pour motiver nos conclusions. Quand on parle des pêcheries néerlandaises, il ne faut point isoler, comme on l’a fait trop souvent, la grande pêche des autres branches d’une même industrie. Toutes ces branches ont des droits égaux à l’intérêt de l’observateur ; elles se soutiennent d’ailleurs les unes par les autres ; dans les années où celle-ci s’abaisse, celle-là se relève, et empêche ainsi la fortune publique de fléchir. La liberté aura pour effet de placer les trois pèches auxquelles la Hollande doit une partie de sa richesse sur un pied de considération égale. Si même il nous fallait opter entre elles dans un temps où l’on n’a découvert d’autre solution au problème posé par les sociétés modernes que de réduire la misère en multipliant les sources de produits, nous ne déguiserions point notre préférence pour la branche d’industrie qui occupe le plus grand nombre de pêcheurs, qui représente en nature un revenu plus considérable, qui contribue plus directement à la nourriture des classes ouvrières, et qui n’a jamais eu besoin d’être soutenue par l’état.


ALPHONSE ESQUIROS.