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délicats de la chimie analytique, mais encore je m’empressai de publier dans des leçons orales les résultats de mes patientes investigations. Un jour je vis arriver dans mon laboratoire une députation de manufacturiers et de commerçans de Manchester et de Liverpool; je m’apprêtais à recevoir avec modestie les complimens de ces représentans naturels des deux villes, les premières du monde, l’une par ses manufactures, l’autre par son commerce, lorsque l’un d’eux, allant droit au fait, me dit sans autre préambule : Monsieur, si vous continuez à publier vos minutieuses recherches sur les farines, le pain et nos divers alimens, ne comptez plus sur notre concours pour subvenir aux frais d’un pareil enseignement, qui inquiète la population et trouble notre commerce. — Tel fut le brusque dénouement d’une tentative qui méritait un meilleur accueil. On comprendra sans peine que le jeune chimiste ait aussitôt pris une autre direction, dans laquelle les résultats utiles ne se sont pas fait longtemps attendre.

J’ai retrouvé les mêmes dispositions chez la nation britannique à Glasgow, à Belfast, à Edimbourg, à Birmingham : partout en un mot, dans les trois royaumes, règne une antipathie profonde contre tout ce qui peut entraver les allures ou la liberté du commerce. Il s’ensuit naturellement que partout aussi la qualité des farines, du pain et de plusieurs autres alimens se trouve évidemment inférieure à ce qu’elle est chez nous, et que parfois même l’insouciance de la population est poussée au point de laisser compromettre la salubrité générale. Je me hâte d’ajouter que la disposition des esprits sur ce point commence à changer, que, même en ce qui touche à la salubrité des habitations, des mesures excellentes ont été prises récemment et nous offrent de très bons modèles à suivre : tant il est vrai qu’aujourd’hui une active émulation en toutes choses entre les deux peuples qui marchent à la tête de la civilisation devient la principale source des progrès dans l’application des sciences au perfectionnement des conditions de la vie humaine !

Cette réaction vers les améliorations hygiéniques en Angleterre a trouvé son point de départ en France. En 1851, peu de temps après la publication du compte-rendu de la mission que je venais de remplir, le ministre de l’agriculture et du commerce désira que des leçons sur l’hygiène et les substances alimentaires fussent ajoutées aux cours du Conservatoire des arts et métiers. Ces leçons, auxquelles je rattachai des notions pratiques sur les falsifications et les moyens de les découvrir, devinrent l’origine de plusieurs recherches et de publications importantes. Dès lors aussi, la population des villes de la Grande-Bretagne s’émut à l’idée des inconvéniens et des dangers ni unie que peuvent offrir une nutrition incomplète et une