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besogne, rien ne presse ; attendons la nuit, ils se calmeront. Donnons-leur le temps de réfléchir.

— Crève qui a peur ! s’écria le maire. Massapan, donne-moi ta caisse ; Lagardelle, mon écharpe ! — Alors il monta au balcon, et après avoir battu un ban, il annonça au peuple que la troupe était dissoute, la tragédie supprimée, et que force resterait à la loi.

Dès que Lucien fut informé de cette querelle, il s’empressa d’accepter le rôle d’Antoine, qu’on lui avait offert dès son arrivée. Pour tout apaiser, il vint de lui-même dans les auberges où se réunissaient les tragédiens, et par ses manières engageantes il se concilia tous les esprits. Perdigal mit la chose en chansons. Espérit s’en allait répétant partout qu’on s’était bien trompé sur le compte de Lucien, et que sans Lucien il n’y avait pas de tragédie possible. Il arrêtait les passans dans la rue pour leur raconter toutes les belles choses qu’il venait d’apprendre de Lucien sur le théâtre ancien et moderne. A la Mule d’or, le caporal Robin fit voter des libations abondantes en l’honneur du neveu ; au Grand Alexandre, on chanta pour lui les chœurs de la Muette, et dans la soirée Cayolis et ses amis vinrent donner la sérénade sous les fenêtres du maire.

Il fut décidé que les répétitions seraient reprises sans délai. Une nouvelle distribution des rôles était devenue nécessaire ; Espérit mit à profit les bons conseils que lui donna Lucien, et tous les changemens furent acceptés sans discussion. Le méfiant Triadou consentit à céder son rôle de Brutus à Cayolis, le sergent Tistet prit le personnage de Cimber, et Robin celui de Cassius. Le magister Lagardelle accepta les fonctions de régisseur, Perdigal devint Dolabella, et Cabantoux Décime. Les chefs des deux grands partis (paysans et moussus) furent définitivement rejetés, en compagnie de tous les hommes remuans, dans le groupe des sénateurs et licteurs, personnages muets.


IV.

Tous les dimanches, au coup de neuf heures, la famille Cazalis partait de la Pioline pour la seconde messe, le lieutenant sur son âne, la tante Blandine sur sa mule entre les deux petits enfans du fermier juchés dans les enserres, les autres à pied avec le reste de la bande, la Zounet en tête, Zounet dans tous ses atours : robe verte et tablier violet empesés fortement et se tenant roides avec des plis droits, gorgerette plissée, fichu rouge montant jusqu’aux oreilles et faisant bosse sur le dos, le tout couronné par un bonnet emphatique hérissé de ruches, enguirlandé à profusion de rubans de couleurs, rubans flottans, rubans en cocardes, en choux, en chicorées, en