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casse-pierres pour les routes, bateaux à hélice, scies à vapeur pour les carrières, charrues à vent, moulins et fours mobiles pour les armées de terre et de mer, machines à vanner, à tisser, à faucher, à herser. Le long coffre du hangar était rempli de plans et d’études, et depuis le tour jusqu’aux plus hautes étagères, on ne voyait dans les casiers que rouages, plaques numérotées, tuyaux de tôle, planchettes, cuivres et ferrailles. — Il y a là une fortune, se disait-il jour et nuit ; de l’or en barre, et nous ferons un rude bien au pays ! Mais où prendre l’argent pour tous ces brevets ? Oh ! s’il me venait quelque bon coup de commerce !


VII.

Toutes ces histoires du Mitamat, Marcel les apprit en grande partie par Espérit. Comme il ne quittait jamais sa mère pendant les quinzaines de vacances qu’il venait passer au pays, il avait ignoré jusqu’à son dernier voyage tout ce qui se racontait à Seyanne sur le Sendric, car personne n’aurait osé se railler du Mitamat devant la Damiane.

Espérit et la Damiane avaient été les seuls confidens du Sendric ; on n’avait jamais parlé des projets de machines à la tante Laurence, et pendant plusieurs années elle fut très intriguée en voyant le Mitamat charbonner les murs de dessins et de chiffres. Enfin il y avait eu grand conseil de voisines, et l’on avait décidé que le Sendric voulait se lancer dans l’arpentage. À cette époque, personne ne se doutait encore des travaux mystérieux du hangar ; le portail de la petite cour était condamné depuis plusieurs années, et l’on ne pouvait arriver à l’appentis que par le bûcher, sur les derrières, en longeant un couloir tortueux et sombre, formé de palissades, obstrué de débris et de vieilleries. Les chiens avaient leur chenil dans ce défilé, et jamais les commères ne s’y seraient aventurées. Pour gagner la fenêtre basse qui servait d’entrée de ce côté, il fallait encore passer sous une charrette disloquée, dressée contre le mur. Le Sendric se rendait à son laboratoire par ce chemin, et lorsqu’il y était entré, par surcroît de prudence, il tirait encore les verrous derrière lui.

Chez les Sendric, les fins de trimestre étaient souvent très difficiles à passer. Les billets souscrits arrivaient de tous côtés, à la grande surprise du Mitamat, qui ne se trouvait pas toujours en mesure. Le Mitamat était un très habile calculateur, on disait de lui : Il chiffre comme un ange ! Le Mitamat avait la mémoire des idées et des faits, des sons, des formes, des couleurs, la mémoire des noms, des lieux, des visages ; mais il n’avait pas la mémoire des échéances. Il confondait toutes les dates, il mêlait tous les comptes, et de ses créances