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de son père. Ces cylindres, ces découpures de bois et de métal, ces ressorts, ces plaques de toutes formes, c’était pour lui tout un monde de jouets bizarres et gigantesques ; il en était émerveillé. Ses souvenirs lui revenaient en foule ; On lui fit répéter vingt fois son récit. — Oh ! quel malheur ! disaient les voisines ; elles levaient les bras au ciel et s’apitoyaient sur la folie de ce père de famille. — Oh ! quel fourbe ! dit la tante, et moi qui n’en savais rien ! Mais que se passe-t-il par là-bas dans ce hangar ? Quel serpent ! A nous deux, vieux renard !

Alors elle mit en campagne sa petite police, et, pour sa part, surveillant de près le Mitamat, elle ne perdit plus un mot de ce qui se disait autour d’elle dans la cuisine. Lorsque Espérit venait argumenter et raisonner avec le Sendric, la tante ne s’enfuyait plus à l’autre bout de la salle en criant qu’on lui rompait la tête ; au lieu de maugréer et de s’emporter comme par le passé, elle se rapprochait des discuteurs, doucement, à reculons, pour leur ôter toute méfiance. Tant que les deux amis étaient aux prises, elle se tenait aux écoutes, blottie dans son fauteuil, la tête en avant sous la quenouille, attentive, impatiente, allongeant son museau pointu, dressant ses fines oreilles, tout en éveil, avec des sursauts et des mines de souris en maraude.

Les commères conspiraient avec la tante, et le Sendric ne faisait plus un pas sans être épié et suivi. On savait à quelle heure il entrait au hangar, à quelle heure il en sortait ; dès qu’il était à ses mécaniques, on attirait les chiens hors du bûcher, et de magnifiques bombances les retenaient à la cuisine ; les enfans du quartier venaient se tapir derrière les fagots, et, par les fentes des cloisons, ils regardaient travailler le Mitamat ; au besoin, pour mieux voir, ils trouaient les planches au vilebrequin. Les plus délurés recevaient en récompense des morceaux de pain blanc, et même des liards, s’ils restaient bravement aux aguets jusqu’à la fin des expériences.

Sur ces rapports, les conjectures et les commentaires allaient leur train, et l’imagination des voisines se donnait carrière. La tante brûlait d’en savoir encore plus long. Clouée sur son fauteuil, dévorée de curiosité, elle souffrait le martyre de ne pouvoir descendre au hangar, fureter ces cases et ces étagères mystérieuses, voir de ses yeux, toucher de ses mains. Son grand désir, son rêve, c’était d’arriver à faire parler le Sendric lui-même sur ses mécaniques, de le tenir en tête-à-tête, entre quatre murs, pour le chapitrer tout à l’aise, discuter avec lui, censurer, critiquer, conseiller ; mais comment s’insinuer dans la confiance de cet homme taciturne et solitaire « qu’elle craignait comme le feu, disait-elle ? Par quel bout le prendre ? » Elle vidait tout son sac à malices, elle mettait en jeu ses artifices les plus