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il était d’une gaieté sinistre, on eût dit qu’il clouait sa bière. Il ne remit plus les pieds au hangar, et jamais depuis on ne l’entendit parler de machines ; de trafics et de marchés, il n’en fut plus question ; par contre, il devint très mon au travail, il avait perdu toute l’excitation de sa vie, et la paresse le gagnait de jour en jour. Vers les derniers temps, il ne fit plus que languir dans l’insouciance et la fainéantise ; il laissait son ouvrage pour s’en aller vaguer dans les rues, au hasard, en compagnie des chiens errans ; quand les chiens s’arrêtaient, il s’arrêtait ; lorsqu’ils se couchaient au soleil, il s’étendait à terre avec eux. Il ne répondait plus à personne, et rien ne pouvait l’émouvoir, ni les remontrances des gens graves, ni les insultes des petits polissons. Pendant ces trois mois, on le vit passer ainsi de porte en porte, rasant les murs et traînant le pied, chancelant, appesanti, la face engraissée et blême. Sa santé, qui avait résisté aux plus dures fatigues, s’affaissa tout à coup ; il se mit au lit pour ne plus se relever ; il dormait des sommes de trente et quarante heures et se rendormait encore, si bien qu’un jour il ne se réveilla plus, et la mort le prit sans qu’on lui reconnût d’autres maladies que ces lourds sommeils continus.


VIII.

Cette invention du ventaire était la seule que le Sendric eût menée à bonne fin. A sa mort, il ne laissa que des plans et des ébauches absurdes, incompréhensibles au dire des savans qui mirent le nez dans ce fouillis dénotes, de calculs et de dessins empilés au fond du grand coffre. Ces savans avaient été raccolés par l’ami Espérit, qui voulait tirer d’eux un bon témoignage en faveur du Sendric ; c’étaient des géomètres-arpenteurs qui venaient cadastrer le pays, et le terrailleries avait entraînés au hangar en leur annonçant des merveilles. Après dix minutes d’examen, les géomètres se regardèrent en riant, et, laissant là Espérit tout triste et confus, ils retournèrent au cabaret, où les attendait leur collègue Lagardelle. Les hommes compétens s’étaient prononcés, et sur cette décision sans appel il fut bien établi désormais que le Sendric était mitamat, de sorte qu’on put bientôt, sans trop de mauvaise foi, lui contester son chef-d’œuvre, et lorsqu’on vit fonctionner dans le pays les nouveaux moulins à vanner, le Sendric fut accusé de plagiat.

A son retour à Seyanne, Marcel s’empressa d’explorer le coffre aux papiers. Il commença ce dépouillement avec une grande anxiété. Quelle joie ce fut pour lui de découvrir dans les études du Sendric mille preuves d’un génie inventif très original et primesautier ! Les combinaisons et les recherches les plus nouvelles, les plus habiles,