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s’y rencontraient au milieu des singularités et des inexpériences ; c’étaient à chaque instant des lacunes incroyables ou des superfluités saugrenues que rien ne motivait, et dans ce désordre, dans ce chaos, éclataient très souvent des conceptions hardies, des pressentimens, des divinations étonnantes. Cependant, il faut bien l’avouer à la décharge des gens du cadastre, les erreurs et les étrangetés faisaient masse dans l’œuvre du Sendric, et certes il fallait les yeux d’un fils pour chercher et discerner les idées heureuses disséminées çà et là sous ce terrible fatras. Tantôt il n’y avait d’ingénieux que les détails., les conséquences tirées droit d’un principe erroné, et tantôt, par une contradiction inexplicable, cette logique venait à faire défaut dès que l’idée première était vraie. Parmi ces projets du Mitamat, il y en avait un grand nombre de purement chimériques, et c’étaient les seuls qui fussent clairement et simplement traités, sans surcharges, sans inutilités bizarres ; il n’avait ce grand bon sens que lorsqu’il partait d’une idée fausse, d’une hypothèse en l’air, d’une méprise, et par contre sur les données les plus justes il ne savait que construire d’immenses utopies, si vastes et si touffues, qu’il finissait par s’y perdre lui-même : il n’en avait plus la clé. Il s’égarait dans son œuvre comme dans un labyrinthe, et s’il retrouvait le fil d’Ariane, tout aussitôt le fil lui cassait dans les doigts. C’était son moindre souci ; jamais il ne se croyait en si bon chemin que lorsqu’il était tout à fait dévoyé, et tout gaiement il s’en allait alors trottinant à l’aveuglette d’oisivetés en oisivetés, curieux, rêveur et musard. A chaque instant des imaginations nouvelles se levaient devant lui ; il courait après comme un homme qui poursuivrait son ombre. Ainsi lancé au hasard, il passait à côté des vérités dont il avait eu l’intuition, souvent même il y touchait sans les reconnaître. Il n’avait d’ailleurs ni lois ni principes pour les fixer et les dégager, et celles qu’il rencontrait d’aventure semblaient n’arriver là que pour donner vie aux erreurs, et lui, de confiance, il s’enfonçait plus avant encore, en pleines chimères. Une fois bien engagé dans l’inextricable, enlacé par mille difficultés vaines, il ne songeait plus qu’à raccorder entre elles toutes ces billevesées, à les assortir et les agencer finement, industrieusement, et loin de simplifier, il subtilisait à plaisir ; il compliquait, compliquait de plus belle, et toutes ces complications s’emmêlant, s’enchevêtrant, il les enjolivait encore de toute sorte de fariboles.

Ces côtés ridicules des plans du Mitamat étaient traités avec le même soin que les excellens, d’une main reposée, satisfaite, avec un amour infini. Vraie ou fausse, toute combinaison inusitée, imprévue, qui venait s’offrir, le séduisait par sa seule nouveauté ; il accueillait avec une égale complaisance le bon et le mauvais, l’inutile et le nécessaire ; sottises, balivernes ou divinations de génie se rencontraient