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et vivaient pêle-mêle dans son esprit, sans trouble, sans lutte, en amitié parfaite, sur le pied d’égalité. Et le plus singulier dans tout ceci, c’est que, n’étant jamais mécontent de ses essais, jamais pourtant il n’en voyait la fin. Sa pensée ne pouvait s’arrêter à des formes définitives ; tous les jours il recommençait à nouveau et sans la moindre inquiétude, sans que jamais son inspiration vînt à languir, et jamais il ne se lassait de puiser à cette source intarissable des songeries. Nul doute, nulle hésitation, partant nulle certitude ; ni parti pris, ni décision, un quiétisme incurable : aussi jamais de refontes hardies, jamais les franches reprises, l’âpre travail, l’élan joyeux du dernier effort, le coup de griffe, le cri de victoire. Amoureux de soi-même, possédé par tous ses caprices et leur appartenant tout entier, il errait à loisir dans ses projets inachevés, à la merci d’une fantaisie vaine, captif et charmé, épris d’illusions, heureux de vivre dans l’inconscience et dans le rêve.

Marcel rentrait résolument dans cette œuvre confuse ; il en détachait vivement les parties excellentes ; il les faisait ressortir sur ce fonds de choses vagues et d’incohérences où s’était perdu l’esprit nonchalant du Sendric ; il les saisissait, il les dégageait avec la clairvoyance et la dextérité d’un esprit radical et libre, très exercé d’ailleurs au maniement des sciences ; sans parler de toutes les ressources qu’il tirait de ses études, par lui-même, par la franchise et la décision de sa nature, il était très apte à reprendre les tentatives du Sendric, à tirer du chaos tous ces germes d’inventions, à les appeler à la vie, à la lumière. Il avait ce qui toujours avait manqué au Mitamat : il avait la passion, la véhémence, l’élan de jeunesse.

Le jeune Sendric avait pour ambition de réaliser un jour les œuvres de son père, de le continuer, de relever ainsi la mémoire de ce chercheur malheureux, en son vivant conspué, baffoué, et que les moqueries populaires poursuivaient encore au-delà du tombeau. Ses études étaient dirigées dans ce sens ; il y consacrait tout le temps que ne réclamaient pas les travaux de la maison, et en reprenant ainsi les conceptions avortées de son père pour les animer et les raviver, il se faisait une loi de ne modifier en rien les plans primitifs dont il pouvait tirer quelque parti : il s’attachait à les développer très rigoureusement, et partant de ce point où le projet déviait, détruisant toutes les inutilités qu’il rencontrait devant lui, il s’efforçait de poursuivre l’invention sur ses données premières, en innovant le moins possible, afin que tout l’honneur du succès pût remonter au vieux Sendric.

La Damiane s’associait aux espérances de Marcel. Seule, elle avait défendu le Mitamat contre les gens de la famille et du village. Sans croire précisément à son génie inventif, elle avait toujours