Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élégante est une construction condamnée par le goût, si elle ne répond pas à sa destination. Je m’en tiens à la peinture et à la statuaire. Pour la ferme humaine traduite par le marbre, nous avons la frise, les métopes et les tympans du Parthénon, qui répondent à toutes les questions. Pour ceux qui connaissent le modèle vivant, il est évident que ces admirables ouvrages ne sont pas réels. Ils nous offrent tout à la fois quelque chose de moins et quelque chose de plus que la réalité, quelque chose de moins, puisqu’ils n’ont ni la couleur ni la souplesse de la chair animée par le sang, quelque chose de plus, puisqu’ils dépassent en harmonie linéaire les créatures vivantes qui marchent devant nous.

A quoi tient cette différence, que les aveugles pourraient seuls contester? A la conception, à l’expression de l’idéal. Phidias, qui se nourrissait de la lecture d’Homère et qui pouvait contempler chaque jour les plus belles filles de l’Attique, de la Thrace et de l’Ionie, c’est-à-dire la finesse de l’intelligence, l’ardeur des sens et la mollesse voluptueuse, traduites par les signes les plus éclatans, ne se contentait pourtant pas de ce qu’il voyait lorsqu’il équarrissait le paros. Il complétait le témoignage de ses yeux par le témoignage d’Homère. Il n’oubliait jamais le quatorzième chant de l’Iliade et les amours de Jupiter et de Junon sur le mont Ida. Il s’élevait au-dessus de la réalité par la conception, par l’expression de l’idéal que l’aveugle divin lui avait révélé. Or, comme dans la statuaire Phidias n’a jamais été surpassé, comme les plus habiles parmi les modernes n’atteignent pas à sa hauteur, comme Jean Goujon et Michel-Ange, malgré leur science profonde, sont vaincus par lui, comme la Diane et le Moïse sont au-dessous de la Cérès et du Thésée, nous sommes forcé d’accepter Phidias comme le prince de la statuaire.

Si nous possédions les peintures de Polygnote au Pœcile, la Grèce nous dirait sans doute sur l’emploi du pinceau ce qu’elle nous dit sur l’emploi du ciseau; mais à défaut du Pœcile et de Polygnote nous avons le Vatican et Raphaël, et même un souvenir de la Grèce, la grande mosaïque trouvée à Pompéi, dans la maison du Faune, et qui, d’après le mémoire érudit et ingénieux de M. Fabbricatori, représenterait la bataille d’Arbelles. Dans cette mosaïque, aussi bien que dans les chambres du Vatican, il n’y a pas une figure où l’on ne trouvé l’empreinte de l’idéal. Qui donc oserait affirmer que l’Alexandre de Pompéi est une copie littérale de la réalité, et n’exprime rien de plus? Qui donc oserait dire que son cheval est une étude faite dans un haras? L’Aristote et le Platon de l’Ecole d’Athènes sont-ils réels? Où trouverait-on ces deux types si pleins de majesté, d’une sérénité si calme et d’une expression si profonde? Si Raphaël n’eût