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corruption et les habitudes simoniaques ont révolté les moins scrupuleux à Constantinople, a été enfin sacrifié, après de longues hésitations, et pour ainsi dire à la dernière extrémité, au mécontentement général que sa conduite avait provoqué et à la réprobation unanime du synode. La rupture entre lui et les évêques ses subordonnés en était arrivée à un point qui ne permettait plus à la Porte de ménager en lui l’intérêt qu’il avait réussi à surprendre. Aussi serait-il souverainement injuste de considérer cet acte comme un nouveau grief qu’elle donnerait à lord Stratford ; mais c’est un incident qui démontre combien ce besoin passionné de prendre parti pour ou contre les personnes est compromettant pour un ambassadeur étranger, surtout dans un pays de basses intrigues comme la Turquie, et on ne peut se défendre d’un certain étonnement en voyant un homme aussi corrompu que le patriarche Anthimos honoré d’un bienveillant intérêt, qu’on exagère sans doute, quand l’ambassadeur d’Angleterre proteste qu’il ne poursuit dans Méhémet-Ali-Pacha qu’une corruption dont les preuves seraient peut-être plus difficiles à fournir. Néanmoins, hâtons-nous de le dire, l’union de la France et de l’Angleterre demeure intacte sur le théâtre principal de leur action, grâce au sang-froid du représentant de la France et au bon esprit qui n’a pas cessé de l’animer ; Constantinople serait en feu, si M. Thouvenel avait les passions aussi vives et les allures aussi impérieuses que son collègue, et s’il était dans nos traditions diplomatiques de jouer aussi gros jeu sur des noms propres.

Aux États-Unis, la vie politique sommeille un peu en l’absence du congrès, et les quelques signes d’activité qu’elle donne se rapportent plutôt à l’avenir qu’au présent. Les partis s’occupent de régler leurs vieux comptes et se préparent à la prochaine élection présidentielle. Le cabinet essaie de se mettre d’accord, mais inutilement ; le parti Cushing et le parti Marcy sont aussi loin de s’entendre qu’auparavant, et c’est en vain aussi que les deux tractions du parti démocratique, les hardshells et les soft s/teits, ont tenté un rapprochement. Depuis quelques mois, la politique américaine est en pleine anarchie. Les know-nothing, qui marchaient pleins d’ardeur, qui s’opposaient, en phalange unie et compacte, aux vieux partis, de plus en plus morcelés, ont vu la division s’introduire dans leurs rangs à l’assemblée générale de Philadelphie. Cet insuccès n’a pas cependant redonné aux anciens partis la puissance qu’ils n’ont plus, et qu’ils cherchent inutilement à reconquérir. Au fond, les vieux noms de fédéralistes et de démocrates n’ont plus aucun sens, et en dehors de la politique nouvelle que les know-nothing cherchent à faire prévaloir, il n’y a plus aux États-Unis que deux tendances, la tendance aboli tioniste et la tendance annexionniste. Il s’agit de savoir laquelle des deux triomphera à l’élection du nouveau président.

Ce ne sera point l’abolitionnisme : la lutte relative à l’esclavage continue dans le Kansas avec plus de fureur que jamais, et se terminera, selon toute probabilité, par la défaite des abolitionnistes. Tous les esprits commencent à se troubler devant l’idée d’une rupture possible de l’Union, et les courages les plus bouillans, cela est trop visible, en viennent à faiblir. Orateurs et journalistes mettent dans le langage qu’ils tiennent sur cette éternelle et difficile question une modération qu’ils n’avaient point autrefois. L’Union