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à autre les vieilles et où le père connaît à peine les enfans. Ces deux tableaux sont également vrais ; mais le second est l’exception et la grande exception, car enfin il n’est pas difficile de comprendre que la pluralité des femmes est un genre de luxe que tout le monde ne peut pas se permettre. Parmi ceux qui pourraient se le passer, il en est même un fort grand nombre qui s’en abstiennent et ne cherchent pas à donner de rivales à une première épouse. Si l’on considère sans prévention ce qui se passe trop souvent dans l’intérieur de nos familles occidentales, on reconnaîtra aisément que la différence dans les relations de sexe entre les musulmans et nous est plus dans les mots que dans les choses. Sous le point de vue social, l’avantage est même du côté du musulman, en ce sens que la polygamie lui fournissant un moyen légal de satisfaire ses faiblesses, sa considération personnelle en souffre moins. C’est une des causes qui conservent intacte dans toutes les positions la dignité du chef de famille, dont on peut dire que l’autorité morale dépasse le pouvoir, déjà très grand, qu’il tient de la loi et des traditions. Dans une famille arabe, le père est une espèce de dieu ; les enfans n’osent sans sa permission s’asseoir en sa présence ; ils le servent à table, et ne se permettraient devant lui aucun geste, aucun propos trop familier. Voilà le véritable et vénérable lien qui, au sein de tant d’habitudes et d’élémens anarchiques, soutient la société arabe depuis les temps bibliques, et la soutient dans un état qui n’a rien à envier aux autres sociétés, non certes pour la grandeur et l’éclat, mais pour le bonheur du plus grand nombre.

Les Arabes à demeure fixe sont presque des sybarites comparativement aux nomades, qui, dans la Tripolitaine plus qu’ailleurs peut-être, ont réduit la vie matérielle à sa plus simple expression. La plus considérable tribu de ces nomades était, avant les troubles qui ont agité si longtemps la contrée, celle des Beni-Soliman, qui, après la mort d’Abd-el-Djelil, abandonna son ancien territoire et s’enfonça dans les vastes plaines qui s’étendent au sud-ouest du Fezzan. Elle rencontra là les Touariks, sur lesquels ses armes à feu lui donnèrent longtemps l’avantage, de sorte qu’elle domina ce pays brûlé et se rendit redoutable aux caravanes. À la longue cependant les fusils des Beni-Soliman se détraquèrent, et comme ils n’avaient pas d’armuriers pour les réparer, l’avantage passa à leurs adversaires, qui étaient plus nombreux. La position n’étant plus tenable, ils se soumirent au gouverneur de Tripoli, et ils purent venir reprendre les campemens qu’ils avaient abandonnés entre le golfe de la Syrte et Socna.

Nomades, pu sédentaires, les musulmans de la régence de Tripoli sont tout à fait exempts de fanatisme. Je puis citer à ce sujet un exemple curieux. Il y a une quarantaine d’années, un Wahabite du