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flûte par exemple, voire du mirliton, instrument trop dédaigné ! cela étonnerait les trois quarts de mes auditeurs, qui s’écrieraient comme du temps des Lettres persannes : « Comment peut-on être persan on jouer du mirliton sur Le violoncelle ! » Les prévisions de M. Offenbach se réalisèrent de point en point et dépassèrent même ses espérances. Il eut pour lui les rieurs et les petits journaux, qui trouvèrent son invention piquante et le poussèrent jusqu’au Théâtre-Français, dont il fut nommé chef d’orchestre. Une fois ancré dans la maison de Corneille et de Molière, comme dit M. Janin, M. Offenbach s’en donna à cœur joie. Il fit des ouvertures, des polkas, des mazurkas et des marches funèbres pour la cérémonie du Malade imaginaire, et dans les entr’actes, entre une scène de Tartufe ou de Polyeucte, il joua de la petite flûte sur le violoncelle, au grand contentement de toute la bande joyeuse des fantaisistes. Enfin, après avoir prêté son esprit à La Fontaine, dont il a mis quelques fables en musique, toujours d’une manière piquante, c’est-à-dire en faisant hurler l’agneau et chanter le loup, M. Offenbach tomba de succès en succès aux Bouffes-Parisiens, dont il est le fondateur et Le compositeur plus qu’ordinaire. Telle est l’histoire de l’auteur des Deux aveugles, du Violoneux et de Madame Papillon, scènes drolatiques qui attirent aux Bouffes-Parisiens tous les vaudevillistes et les chansonniers de Paris et de la banlieue. À Dieu ne plaise que nous nous montrions plus sévère que la chose ne le comporte, et que nous refusions à M. Offenbach une certaine facilité d’entrain, de la gaieté, et parfois quelques tournures mélodiques qui ne sont pas dépourvues de sensibilité ! La scène des Deux aveugles est chaudement rendue par un rhythme saillant et coloré comme un chapitre de roman picaresque ; il y a du sentiment dans le Violoneux, et les couplets : Conscrit ! conscrit ! sont de bon aloi et de meilleur goût que tout ce que chante Madame Papillon, vraie parade de la foire. Que M. Offenbach ne se fasse donc pas trop d’illusion sur la valeur des éloges qu’on lui prodigue, et qu’il s’efforce d’agrandir et d’épurer le filon qu’il a rencontré. Sa phrase mélodique ne vient pas toujours à terme, ses rhythmes manquent souvent d’aplomb, ils restent suspendus en l’air comme les bras et les jambes des fantoccini, et mais l’engageons surtout à être plus sévère dans le choix des canevas qu’il veut réchauffer des sons de sa musette. Il n’y a pas de succès durable pour un spectacle où ne peut aller la bonne compagnie.

Contrairement à toutes les prévisions, les concerts ont été assez rares pendant les six mois qui viennent de s’écouler. MM. Vieuxtemps et Servais ont fait une courte apparition à Paris, où ils ne se sont fait entendre qu’une seule fois, à l’hôtel d’Osmond, au grand déplaisir de leurs nombreux admirateurs. M. Sivori, qui a passé l’été dernier à Paris, nous tient rigueur et n’a pas daigné rompre le silence qu’il garde depuis si longtemps. Un pianiste allemand, M. Stein, que les vicissitudes de la guerre ont fait sortir de la Russie, où il était établi depuis plusieurs années, nous a donné deux séances d’improvisation où il a déployé un véritable talent. L’exercice musical qu’on appelle l’improvisation sur le piano n’est pas un si grand miracle, qu’il puisse exciter une bien vive admiration. Il ne s’agit après tout que de savoir