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Voici comment ce domaine était tombé dans les mains de l’avocat Mazamet. Mazamet avait parmi ses cliens un vieux gentilhomme agronome, couronné dans tous les concours, président de comice, médaillé d’or et d’argent en France et au dehors. De succès en succès, l’agronome arriva à se faire exproprier. La veille de la vente judiciaire, Mazamet vint au secours de son client : il liquida moitié des dettes. En paiement de ses avances, le château des Rétables lui fut cédé de gré à gré à moitié prix de sa valeur, et les autres créances furent passées en son nom. — Entre nous, ajoutait Fournigue, je puis vous dire que jusqu’au dernier moment nous activions sous main les poursuites contre le vieux noble, et sans que le patron y parût pour rien. Oh ! c’est un habile homme ; il est très fort. Savez-vous qu’il a su tirer dix mille francs de ferraille de cette masure sans qu’il y paraisse, rien qu’avec les grilles des perrons, des jardins, des balcons, des puits ? Cette futaie que vous voyez là à l’ouest n’est que le débris d’un immense parc dont la coupe sombre a payé pour les deux tiers l’achat du château. Ah ! quel homme !

Quand on parlait de cet achat des Retables, Mazamet avait coutume de répondre : — Mauvais, mauvais placement ! Les terres ne rapportent plus rien, l’impôt monte tous les jours, et, gouvernés comme nous le sommes, Dieu sait où nous marchons. J’augmente mes charges, c’est une folie ; mais enfin j’ai sauvé mon client, mon ami. Ses biens étaient grevés d’une hypothèque générale, et les créanciers l’auraient jeté dans la rue ; ils étaient sans pitié. Il a fallu faire la part du feu. En fin de compte, mon client ne sera pas sur la paille ; il lui restera encore deux fermes et sa maison de ville. — On célébrait partout la belle conduite de maître Mazamet, et le client n’osait y contredire, car les hypothèques qui frappaient les deux fermes et la maison de ville avaient été transférées au nom de Mazamet ; les créances étaient toujours exigibles, et l’avocat se montrait encore très généreux en laissant courir la dette sans parler de remboursement. Fournigue racontait toutes ces histoires avec des transports d’admiration.

Depuis quelques années, maître Mazamet s’était retiré des affaires : il ne plaidait plus que les causes politiques, les procès à grand fracas, et pendant l’été il venait tenir sa cour aux Rétables. L’affluence des visiteurs était grande ; maître Mazamet avait déjà tout un cortège de solliciteurs, et plus d’un fonctionnaire venait le voir la nuit à la dérobée. Son activité, sa fortune, ses intrigues, son éloquence diffamatoire lui avaient conquis une grande influence dans le pays. Il était très puissant, très redouté, et les oppositions coalisées l’avaient adopté comme candidat. Ses adversaires le combattaient timidement. Le maire de Lamanosc était le seul qui osât dire haut et net : « Ce