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assoupie, le reconnut : — Spiriton, dit-elle, pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt ? Je t’attendais.

Il crut qu’elle faisait allusion à sa maladie, il allait s’excuser tant bien que mal pour ses longues absences ; mais elle, au milieu de ses plus horribles souffrances, elle s’oubliait tout à fait, elle ne pensait qu’à ses amis, à leurs peines, et tous les chagrins d’Espérit lui serraient le cœur. — Tu es donc bien malheureux ? dit-elle. Allons, parle-moi de franchise. Tu as quelque chose à me dire…

— Vous savez donc tout ! s’écria Espérit. Sur quelques mots qui lui échappèrent sans ordre, sans suite et de peu de sens, elle eut bientôt tout compris. Les médecins rentrant exigèrent le silence ; Espérit s’éloigna sans avoir pu s’entretenir plus au long avec la Damiane. À peine avaient-ils échangé quelques paroles, qu’elle avait déjà le secret des tristesses d’Espérit, et lui se sentait tout changé, tout allégé ; il avait reçu le secours d’un cœur ami, et la paix de cette demeure se répandait dans son âme. Toutes les chimères qui l’assiégeaient s’évanouirent.

Dans l’après-midi, la Damiane fit appeler Espérit, qui se tenait à l’entrée de la porte, et tout d’abord elle voulut reprendre avec lui les confidences interrompues. Espérit, honteux qu’on s’occupât de lui dans un pareil moment, répondit à la Sendrique : — Ne parlons que de vous, notre Damiane, ou plutôt taisons-nous ; obéissons aux docteurs.

— Dans cinq minutes, dit-elle avec enjouement ; allons, assieds-toi là et parle-moi de franchise. A-t-on rien de caché pour sa marraine ?

— Ah ! marraine ! dit-il.

Ce doux nom de marraine, plus doux encore en provençal, méïrine, bien souvent il l’avait entendu et répété sans y trop réfléchir, mais en ce moment, auprès de la Damiane, la tendresse de cette appellation le charmait extrêmement, le sens affectueux de ce mot le frappait avec une force, une nouveauté extraordinaires, et lui revenait comme un souvenir lointain de la première enfance. Il s’attachait à cette parenté spirituelle avec des entrailles de fils. Ces Sendric, c’était toute sa famille. On l’avait mené là lorsqu’il avait perdu son père ; douze ans plus tard, il avait été recueilli par eux, à la mort de sa mère la Siffreine, lui et sa sœur Espérite, celle qu’on appelait dans le pays la grande Espérite. Elle aussi était morte, à six mois de là, cette grande Espérite ; elle était enterrée à Seyanne, et sur ce rosier blanc, dont les branches couvraient la muraille des Sendric, les jeunes filles avaient cueilli la couronne virginale qui parait son cercueil. La voix de la Damiane faisait revivre en lui tous ces souvenirs déchirans ; à mesure qu’elle parlait, il se sentait remué