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furieux. — Il n’en sut dire davantage dans un long discours d’une heure. Le muet, avec ses gestes, essayait de rectifier ce qu’il y avait de confus dans ce récit du fadad. À tout hasard, Espérit s’habilla et se tint prêt à partir pour la Pioline.

Il y avait en effet grand dîner d’apparat chez les Cazalis. Le maire et son neveu étaient de retour, et il s’agissait de célébrer en même temps l’arrivée d’un officier de gendarmerie qui venait prendre le commandement de la lieutenance. Pour ajouter à l’éclat de la fête, M. Cazalis avait invité ses chers tragédiens. La journée devait se terminer par une répétition de la Mort de César aux lumières, avec décors et costumes. Ces convocations s’étaient faites en grand mystère. En se mettant à table, M. Cazalis dit à sa sœur : — Ma chère Blandine, je vous ménage une surprise charmante ; dans une heure, vous verrez arriver tous mes acteurs, et ce soir nous les garderons à souper. — La tante riait aux éclats. — Allons, vous prenez bien les choses, dit le lieutenant fort surpris de la voir en si belle humeur. L’heure passée, les tragédiens n’arrivaient pas. M. Cazalis regarda sa sœur avec méfiance. Au milieu du dîner parut le sergent Tistet, son papier à la main. — Mon lieutenant, voici le contre-ordre, dit-il en lui présentant une grande circulaire toute chargée de paraphes ; serait-il vrai que vous renvoyez la répétition à un mois d’ici ? Toute réflexion faite, j’en doute encore, sauf le respect que je vous dois. Si je ne m’abuse, ce n’est pas votre écriture ; vous peignez beaucoup mieux.

Ce contre-ordre était écrit en entier de la main de Mlle Blandine, et tout au bas, sans le moindre scrupule, elle avait signé bravement : « Le lieutenant Jean-de-Dieu Cazalis. »

— Ah ! vous êtes le lieutenant Jean-de-Dieu ? dit Cazalis. Ma sœur, vous voilà prise la main dans le sac.

— Mais c’est un faux, s’écria le sergent Tistet, et très sérieusement il proposait d’envoyer la tante en cour d’assises.

— J’aurais signé du nom du roi, dit la tante.

Mlle Blandine triomphait : on s’amusa beaucoup de la déconvenue du lieutenant, et le sergent Tistet, qui ne comprenait rien à ces légèretés en matière d’écriture publique, se retira très vexé. Bientôt le maire et M. Cazalis s’assoupirent, comme c’était leur habitude au dessert, dès qu’ils avaient pris leur petit verre de muscat. — Allez, allez toujours, disait Marias Tirart en se renversant sur sa chaise, je suis comme les lièvres, je ne dors que d’un œil. — De temps à autre, il relevait la tête en criant très haut : hum ! hum ! afin de montrer qu’il était bien à la conversation. M. Cazalis usait de la même ruse pour gagner ses dix minutes de sieste digestive. L’officier de gendarmerie, qui était brisé de fatigue, ronflait tout