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La tante était très irritée contre Lucien : si Lucien lui avait offert son bras, elle aurait refusé net et sec ; mais avec sa nièce elle ne badinait pas sur les devoirs du savoir-vivre. Elle courut donc après Sabine pour la gourmander, et de force elle voulut la ramener vers Lucien. Au milieu de ce débat survint la Zounet. La Zounet conduisait par la main un grand garçon maigre et bave tout couvert de sueur et de poussière, déguenillé, pieds nus. — Deux lieues dans une heure ! dit le jeune paysan en ouvrant sa chemise pour en retirer une lettre ; tout à la course, et pas plus fatigué qu’un dimanche. — Puis, pour prouver son dire, il se mit à danser.

Ce courrier venait de la part des gens de San-Bouzielli, qui réclamaient les soins de la tante Blandine pour un des leurs atteint d’une fièvre maligne, où tous les docteurs perdaient leur latin, ainsi qu’il était dit dans la lettre d’invitation. — Ah ! oui, les médecins, dit la tante, des ânes, des ânes rouges ! La Zounet, ma pharmacie, et qu’on bride la mule ! Toi, prends tes souliers ferrés. Sabine ! Sabine ! cours à ma chambre ; vite mes gants, mes mitaines, la petite fourrure, mon trousseau de voyage, mon manteau, la pelisse, le vieux châle, les bas de laine !

— Et le bonnet de nuit, dit M. Cazalis.

— Oui certes, répondit-elle, et ma camisole aussi, ne vous déplaise ; croyez-vous que je vais revenir ce soir à dix heures par ces chemins affreux, ces précipices, au milieu des loups ? Je couche à San-Bouzielli, et j’y resterai tant qu’il me plaira, entendez-vous ?

La tante s’équipa en toute hâte, elle bourra son cabas de fioles, de paquets, de petites boîtes, et, sans plus tarder, elle partit pour la ferme de San-Bouzielli, suivie de la fidèle Zounet.

— Ah ! c’est un coup du ciel, dit le lieutenant ; Cascayot, vole à l’écurie et selle le Garri.

Dès que la tante se fut mise en route, Cascayot partit pour Lamanosc. Cascayot était porteur d’un message adressé au sergent Tistet. Aux termes du message, le sergent était chargé de convoquer sans délai tous les acteurs qu’on pourrait ramasser dans le village. On devait être rendu à la Pioline à neuf heures du matin ; à dix heures, répétition générale du premier acte, à midi grand banquet.

Le lendemain, il y eut donc tragédie à la Pioline, et lorsque la tante Blandine revint de ses consultations, elle trouva les tables du festin déjà dressées sur la terrasse. Les acteurs importans, tels que Robin, Tistet, Espérit, se promenaient de long en large en répétant leurs rôles, le cahier à la main ; quant aux autres artistes, ils rôdaient de tous côtés des jardins à la cuisine. Perdigal jouait aux boules dans la cour, Cayolis chantait, Cascayot paradait sur le perron en grand costume du dimanche ; il portait à la ceinture un trousseau de