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seulement, pourquoi n’y a-t-il pas une œuvre qui s’impose ? Pourquoi ne se forme-t-il pas une école qui soutienne les faibles et rallie ceux qui s’égarent ?

Parmi les causes qui ont amené cette dispersion des esprits, parmi les mauvaises influences qui ont contribué à corrompre tant de germes, à dissiper tant d’espérances, il faut ranger surtout la manie de l’imitation française. Certes, que l’action intellectuelle de la France s’exerce glorieusement en Europe, ce n’est pas nous qui serons tenté de nous en plaindre ; prenez-y garde toutefois, plus les barrières des peuples s’abaissent, plus aussi nous devons défendre l’originalité de leur esprit contre les dangers de la promiscuité et du chaos. Désirer que notre patrie garde le premier rang à la tête des nations littéraires, c’est le vœu d’une légitime fierté, mais que penser d’un homme qui, méconnaissant le génie multiple, la libre et féconde variété de la civilisation moderne, souhaiterait au nord et au midi le triomphe d’une pensée uniforme ? Cette critique-là n’est plus permise qu’à des pédans de collège. Il est encore de ces intelligences étroites qui ne veulent reconnaître en Europe que la seule littérature de la France, erreur fort excusable assurément si elle est le produit d’un enthousiasme vrai, prétention grotesque si elle s’étale comme une doctrine, et si, sous un air de conviction hautaine, elle cache simplement deux sottes choses : la fatuité et l’ignorance. Plaçons-nous plus haut, contemplons dans son ensemble le travail compliqué du genre humain, souhaitons que chaque peuple y conserve son esprit, y développe son originalité native, et ne demandons qu’une lutte féconde où nous saurons maintenir notre place. Savez-vous, en effet, quel est le résultat de ces influences qui tiennent plus de la mode que de l’étude ? L’imitation ne se prend qu’aux succès du jour, et l’on voit ordinairement les plus médiocres produits d’une littérature devenir un modèle pour la littérature voisine. Avant Bodmer et Lessing, avant Goethe et Schiller, quand le désir de se régler sur le siècle de Louis XIV étouffait en Allemagne toute inspiration libre, ce n’était pas Corneille ou Racine que l’on prenait pour guides : on faisait du Campistron ou du Lagrange-Chancel. Aujourd’hui que Paris est une sirène pour l’étranger, que copie-t-on au-delà du Rhin ? Nos plus vulgaires frivolités parisiennes, un vaudeville, une fantaisie suspecte, un feuilleton prétentieux, ou l’interminable récit d’un conteur à la toise.

Le meilleur moyen de réveiller l’inspiration engourdie, c’est de ramener les écrivains aux sources nationales. Pourquoi la vie germanique, par exemple, ne serait-elle pas un sujet d’observations fécondes pour les romanciers de Berlin ou de Vienne, de Stuttgart ou de Munich ? Pourquoi l’étude directe d’un pays si original et si