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et, comme Charlotte Ackermann est l’éclatante auxiliaire de Lessing et de Goethe, on partage, au sujet de la malheureuse artiste, les émotions et les colères du public de Hambourg. Goethe a écrit un de ses poèmes les plus touchans à l’honneur d’une jeune actrice qui a passé comme une apparition merveilleuse sans laisser d’autre trace qu’un souvenir bientôt effacé. Les admirateurs de Charlotte sentaient aussi vivement que le poète tout ce qu’il y avait de fragile et de périssable dans ce génie créateur auquel ils avaient dû de si pures jouissances. Quel deuil public lorsque ses tragiques aventures l’obligeaient à s’éloigner de la scène ! quelles acclamations quand elle y reparaissait, essayant de renaître à l’enthousiasme! Et le jour qu’elle s’évanouit sur le théâtre, brisée à la fois par un rôle trop conforme à ses propres souffrances et par la vue de son indigne amant venu là tout exprès pour torturer son cœur, comme un frisson d’angoisse parcourait l’assemblée immobile! L’intérêt d’une destinée particulière et l’intérêt général de l’art sont associés ici avec une parfaite harmonie.

Il y a un dernier épisode qui explique et couronne cette lamentable histoire : bien que l’abandon de Sylbourg eût brisé le cœur de Charlotte, la pauvre fille s’obstinait toujours dans sa confiance. Elle était bien sûre de le ramener, disait-elle. C’étaient les reproches de sa famille, les emportemens de Schrœder, c’était sa propre défiance à elle-même, défiance d’un instant et dont elle s’accusait comme d’une lâcheté, qui avait excité la juste indignation de son amant. Elle persistait jusqu’au bout à glorifier ce misérable, mais le jour où Sylbourg fut démasqué, le jour où elle comprit à quel débauché vulgaire elle avait donné son âme, le rêve une fois détruit, la belle rêveuse mourut. Citons cette page qui résume tout le tableau : Mme Ackermann, Schrœder et Dorothée ont décidé Charlotte à s’éloigner de Hambourg. La solitude, les premiers souffles du printemps, les douces merveilles de cette nature que Charlotte savait si bien sentir, relèveront son âme abattue. Des amis dévoués de la famille, le baron et la baronne de Schimmelmann, l’emmènent au bord de l’Elbe dans leur château de Wandsbeck. C’est là que la comtesse Ulrique de Lindenkron, victime autrefois de l’indignité de Sylbourg, ne craint pas de dévoiler à la douce malade ses tristes et terribles secrets. Elle croyait la guérir, mais pour une âme comme celle de Charlotte, la seule guérison d’un tel amour, la seule réparation d’une telle erreur, c’est la mort, Charlotte se sent frappée au cœur; le lendemain elle quitte le château à pied, accourt à la ville et rend l’âme entre les bras de sa mère :


« La nuit était déjà close, lorsque Ulrique eut achevé son récit; la lune brillait à travers le feuillage; le murmure des sources et des fontaines