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se soit éteinte pour jamais dans cette âme obscurcie. Il ne sortira de là que pour venir s’asseoir sur le banc des criminels et entendre lire sa sentence de mort. Dans toute cette partie, M. Kurz revient simplement à l’exposé des documens authentiques; or il y a dans son roman un si vif sentiment de la réalité, une couleur si solide et si vraie, que ce passage du roman à l’histoire n’a rien qui nous surprenne. L’unité de la composition n’en souffre pas. L’auteur analyse l’enquête du juge, l’interrogatoire de l’accusé, les confessions douloureuses que ce malheureux rédigeait dans son cachot, et l’inspiration morale qui anime tout l’ouvrage apparaît ici dans sa grandeur. Nous pensions lire un roman, nous lisons une page d’histoire, et le conteur devient un généreux publiciste. « Quelques reproches que nous ayons à faire à notre siècle, s’écrie M. Kurz, nous ne pouvons lui refuser ce témoignage, qu’un homme tel que le Sonnenwirth serait mieux soutenu aujourd’hui, qu’il ne se trouverait aucun pasteur, aucun bourguemestre, aucun magistrat capable d’exaspérer ainsi sa jeunesse et de le pousser au crime. »

J’ai cité plusieurs fois le nom de Jérémie Gotthelf à propos du roman de M. Hermann Kurz : c’est la meilleure manière de caractériser cette belle œuvre et de lui marquer sa place. Le digne pasteur de Lutzelflüh, le grand romancier populaire que la Suisse a perdu l’an dernier, aurait singulièrement aimé cette histoire du Sonnenwith ; il y aurait reconnu la trace de son inspiration. C’est la même vigueur de touche, la même impartialité rustique, la même foi dans l’efficacité de la morale chrétienne. Si Jérémie Gotthelf, dans ses fortes peintures, attaquait surtout la propagande révolutionnaire qui ravageait les cantons suisses, il condamnait aussi énergiquement (plusieurs de ses récits l’ont prouvé) les iniquités de l’ancien régime. Obligé de combattre l’ennemi d’aujourd’hui, sa passion de publiciste ne lui faisait pas oublier l’ennemi d’hier. Le Sonnenwirth complète donc parfaitement Uli le Valet de ferme et Jacob le Compagnon. Rappeler aux populations rustiques les bienfaits de la France de 89, c’est leur mettre plus vivement sous les yeux ce que la démagogie leur ferait perdre. Puisse donc le récit de M. Hermann Kurz devenir aussi populaire chez les paysans de l’Allemagne que les romans de Jérémie Gotthelf chez les montagnards de l’Oberland !

C’est encore dans le XVIIIe siècle que nous conduit le roman de M. Gustave Kühne; mais ne cherchons pas ici la netteté, la précision, le ferme sens historique que nous avons signalés chez l’auteur du Sonnenwirth. Le sujet choisi par le romancier exigeait cependant toutes ces qualités réunies; M. Kühne s’est proposé de nous introduire au sein des sociétés mystérieuses qui s’agitaient en Europe dans la seconde moitié du siècle de Voltaire; il intitule son livre les