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ruinée. Les premiers chapitres du roman nous faisaient espérer autre chose que ces inventions de mélodrame. En vain M. Wilkomm a-t-il semé dans son récit des caractères bien observés, des épisodes bien conçus : la noire figure de Wimmern offusque et domine tout le tableau. Comment remarquer d’ingénieux détails sur une toile ainsi charbonnée ? C’est une œuvre manquée, une œuvre à refaire. Le jour où M. Willkomm secouera le joug des tristes modèles qui obsèdent encore son imagination, le jour où il aura le courage d’être simple, les intentions philosophiques et morales que nous avons signalées au début de son récit sont un sûr garant des succès qui l’attendent.

Si j’avais dû classer ici par ordre de mérite les œuvres qui composent la bibliothèque de M. Otto Müller, je ne sais si j’aurais donné à M. Théodore Mügge la première place ou la seconde ; mais certainement je me serais empressé de signaler son roman d’Afraja avant de juger les Francs-Maçons ou la Famille Ammer. M. Théodore Mügge n’occupe pas dans la faveur publique le rôle auquel il a le droit de prétendre. Étranger aux coteries qui distribuent la renommée, écrivain modeste et studieux, imagination facile, il a publié toute une série de romans qui ont su à la fois captiver l’attention de la foule et satisfaire les esprits délicats. Ce n’est pas là un médiocre mérite dans un pays où les coteries littéraires sont encore plus nombreuses qu’en France, où chaque écrivain célèbre a son journal, où le romancier est en même temps critique et ne loue ses confrères qu’à charge de revanche. On a lu et relu M. Théodore Mügge beaucoup plus qu’on ne l’a loué. M. Mügge est un disciple habile de Walter Scott ; cette école du roman historique, qui a produit tant de rapsodies maladroites, peut du moins citer ce nom-là avec confiance. M. Mügge excelle surtout à représenter vivement les pays où il place ses héros ; il aime la nature et il la peint en poète ; il aime aussi les caractères simples, les passions fortes et vraies, les émotions auxquelles s’associe tout un peuple. On sent qu’une sympathie vraiment humaine anime ses créations. Avec cela, il sait conter ; son invention n’a rien de factice, et les figures qu’il met en scène se meuvent librement sous nos yeux. Pour justifier ces éloges, il suffit de rappeler le Toussaint Louverture de M. Théodore Mügge. Parmi les écrivains éprouvés, ce sont des hommes comme ceux-là que M. Otto Müller a raison d’associer à son œuvre. Si j’ai parlé d’abord de MM. Müller et Kurz, Kühne et Willkomm, bien que l’ouvrage intitulé Afraja ouvre la liste des œuvres que j’examine ici, c’est que Charlotte Ackermann et le Sonnenwirth, les Francs-Maçons et la Famille Ammer sont comme le tableau d’un même monde et qu’ils se complètent les uns les autres. Dans cette collection de romans allemands originaux, que M. Mügge me le pardonne, ce que j’ai cherché avant toute chose, c’est l’Allemagne elle-même.