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Quant à Bernadotte, le trône que les Suédois lui avaient confié bien chancelant et fort menacé, on doit le reconnaître, il l’a si bien affermi, tout compte fait, que sa dynastie, ayant désormais ses racines dans l’affection de tout un peuple, semble les avoir poussées jusqu’au cœur de la Suède et dater du temps des Gustave-Adolphe et des Gustave Vasa. L’œuvre qu’il a créée subsiste donc, et, noblement continuée, commande du respect. Les Suédois jouissent, cela est incontestable, d’une grande somme de liberté sous un gouvernement constitutionnel. Les principes de 1809 ont fini par prévaloir dans la politique intérieure du pays. Sachons garder de la reconnaissance pour les gouvernemens qui, au milieu des troubles incessans de l’Europe, ont sauvegardé le précieux dépôt de la liberté. Quant à ceux des actes politiques du fondateur de la dynastie suédoise qui ont entraîné pour notre temps même des conséquences notables, il importe qu’ils ne sortent pas du domaine de la discussion, afin que notre génération, dans le Nord comme en France, engagée dans de grands périls, sache bien ce qu’elle doit retenir ou rejeter de l’héritage que lui ont légué ses pères. Toute responsabilité implique examen et liberté. 1812 doit être, pour ce qui concerne soit l’équilibre européen, soit l’indépendance et la civilisation du continent, soit même les libertés intérieures des nations, une des leçons du XIXe siècle. N’eût-elle d’ailleurs fait que consacrer les dangereuses conquêtes de la Russie, l’année 1812 serait encore une date funeste dans les souvenirs les plus récens de l’histoire européenne. Certaines fautes de Napoléon, nous ne l’ignorons pas, ont contribué à ce triste épisode aussi bien que les fautes de Bernadotte; mais Napoléon a reconnu ces fautes, et il a voulu les réparer : Bernadotte au contraire, en dépit des scrupules qui devaient l’arrêter, en dépit des vœux qui l’entouraient, a refusé de se prêter à la réparation, l’a même rendue impossible, a précipité la lutte vers sa plus redoutable issue et finalement livré l’Europe. Bernadotte travaillait ainsi dans l’espoir d’une récompense qui lui a échappé. Il a laissé, il est vrai, sa dynastie fermement assise sur le trône de Suède; mais la Norvège, annexée faiblement comme elle l’est à la Suède, ne peut passer pour une compensation effective qui fasse oublier la perte de la Finlande. La nation dont l’épée pesait d’un si grand poids dans la balance de l’Europe avant les progrès de la puissance moscovite a perdu son ancienne gloire; de redoutable qu’elle avait été si longtemps, elle est devenue dépendante. Sous Gustave III, les flottes suédoises faisaient encore trembler Saint-Pétersbourg; aujourd’hui les canons russes d’Alexandre et de Nicolas sont venus s’établir à dix-huit lieues de Stockholm.

Que le milieu du XIXe siècle répare les fautes de ses premières