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Dès le milieu de l’année 1810, avons-nous dit, par conséquent avant L’élection de Bernadotte, la Russie préparait sa défection après avoir retiré tant de profits de notre alliance. En de pareilles dispositions, elle ne put considérer sans effroi l’élévation subite d’un maréchal de France, d’un parent de Napoléon sur le trône de Suède. On avait engagé Alexandre à s’y opposer à tout prix. Le parti anti-français, nombreux à Saint-Pétersbourg, avait regardé cet événement comme un nouveau triomphe du cabinet des Tuileries, et annonçait déjà le moment où Napoléon, fort de l’aveuglement de son rival, allait jeter le masque, rompre avec la Russie une alliance jusque-là simulée, et reprendre à l’empire des tsars toutes les conquêtes qui l’avaient en si peu de temps agrandi. Alexandre lui-même parut d’abord ému de ces craintes, non pas qu’il crût beaucoup à la future puissance de cette couronne improvisée, mais parce qu’une coopération énergique de la Suède avec la France, leur union fût-elle passagère, pouvait devenir en effet pour lui très redoutable. Il fit donc pousser activement les travaux de fortification des Aland, arma ses forteresses, et forma en toute hâte trois corps d’armée, l’un en Finlande, l’autre dans la province de Vilna, un troisième sur le Danube. Toutefois, comme sa mère le pressait d’agir en opposant au nouveau-venu le prince de Vasa, dont Alexandre, chef de la maison de Gottorp, devait revendiquer les droits : a Patience, répondit-il, peut-être de grands changemens se préparent... » L’incertitude et à sa suite le pressentiment avaient pénétré dans son âme clairvoyante. Napoléon, soigneux de cette alliance qu’il croyait toujours sincère, avait essayé lui-même de le rassurer. « Bernadotte, faisait-il dire au tsar, avait désormais passé l’âge de la fougue et de l’inquiète ardeur, et son ambition était certainement satisfaite. Il s’appliquerait à seconder la cause commune de la Russie et de la France, et ne songerait d’ailleurs qu’à des réformes intérieures qui assureraient à la Russie un voisinage tranquille et sûr. » Ce qui avait rassuré davantage Alexandre, c’étaient les rapports qu’il avait reçus de Paris et de Stockholm, et qui lui apprenaient comment s’était faite l’élection. Il avait pu se convaincre que, si l’opinion publique en Suède avait été séduite par la perspective de l’alliance française, Napoléon, loin d’avoir suscité ou encouragé cette élection, s’en était au contraire désagréablement ému, et en avait même conçu d’importuns et fâcheux pronostics. Les motifs de ce mécontentement et de cette défiance, Alexandre les avait en même temps connus, et il les avait trouvés assez fondés pour édifier sur cette base toutes ses espérances. Dès lors, son plan fut arrêté de circonvenir le nouveau prince royal, d’exploiter les dissentimens qui l’avaient plus d’une fois déjà éloigné de Napoléon, ses nouveaux intérêts de tête couronnée et de