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fondateur de dynastie, enfin le ressentiment des humiliations que les hauteurs de son ancien maître ne manqueraient sans doute pas de lui infliger. Alexandre raisonnait juste et avec une intelligence parfaite de ces deux esprits.

Bernadotte de son côté, grâce à un espionnage promptement organisé à Saint-Pétersbourg, n’avait pas appris sans crainte l’irritation de l’impératrice-mère contre son élévation toute démocratique et les premières menaces d’Alexandre, protecteur naturel du prince de Vasa. Son premier vœu était d’apaiser ces colères pour se concilier ensuite, s’il était possible, l’amitié de la Russie. Les deux souverains étaient donc tous les deux fort bien disposés à s’entendre; mais ce fut Alexandre qui fit les premiers pas: il entoura Bernadotte de ses insinuations dès avant son départ de Paris, à la fin de 1810. « On s’est bien trompé, disait le prince royal deux mois après son arrivée à Stockholm, si l’on a cru que mon élection déplairait à Saint-Pétersbourg. Je n’étais pas parti de Paris que je savais déjà le contraire. Czernitchef me l’a fait savoir. »

Nous ne rencontrons dans les Souvenirs de M. Schinkel et dans les dépêches que peu de témoignages au sujet de ces premières négociations. Il nous faudrait les papiers de Czernitchef. Nous ne pouvons établir précisément à quelles ouvertures voulait répondre Bernadotte en proposant au milieu de novembre 1810, c’est-à-dire quelques jours seulement après son arrivée en Suède, au diplomate Brinckmann d’aller remplir à Saint-Pétersbourg, à côté de M. de Stedingk, ancien ministre de Suède, une mission secrète et de confiance. Brinckmann refusa, mais ses liaisons littéraires avec le comte de Suchtelen, qui représentait à Stockholm le cabinet russe avec le singulier titre de voyageur accrédité, paraissent avoir servi de lien et de transition commodes. Suchtelen, à fort peu de temps de là, vint offrir à Bernadotte de la part de son maître ses félicitations de bonne venue dans un langage qui dépassa évidemment les limites officielles. Bernadotte crut pouvoir y répondre par une lettre autographe, et la correspondance qui s’ouvrit ainsi entre les deux souverains devint bientôt fort intime.

Quelques jours après, le 18 décembre, Czernitchef lui-même se présenta au château. Envoyé récemment par Napoléon, qu’il trompait, vers Alexandre pour engager celui-ci à sévir contre la Suède, il avait été initié dans les vues secrètes, dans les espérances de son maître, et au retour, sous le grossier prétexte des mauvais chemins et de la difficulté du voyage, le rusé diplomate avait dirigé sa route vers Stockholm. Par cette entremise purement officieuse, le tsar assurait en confidence à Bernadotte que le cabinet de Saint-Pétersbourg appréciait suffisamment les motifs de la déclaration de guerre aux