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écrivait à son maître : « Le prince royal nous appartient; il a engagé sa main et son gant, sa parole et sa foi. » — Il est vrai que Bernadotte avait fait un admirable accueil aux ouvertures de notre futur ennemi, il est vrai que les deux bases principales de la politique de 1812 étaient trouvées; mais évidemment l’alliance n’était pas conclue : Bernadotte ne s’était pas encore à cette époque livré à la Russie, il négociait encore. Nous ne trouverons pendant toute la première moitié de 1811 aucune trace d’effort tenté par lui pour se livrer définitivement à la Russie. C’est notre intime conviction que si Napoléon l’avait voulu, Bernadotte aurait été alors notre allié, non pas que nous ajoutions beaucoup de foi à la sincérité des protestations que nous lui verrons faire pendant longtemps envers l’empereur, mais parce que nous croyons que l’empereur pouvait, jusqu’à la fin de 1811, le prendre au mot et le lier par ses intérêts. Nous comprenons d’ailleurs que de pareilles assertions ne seront accueillies tout de suite ni par les ennemis passionnés de Bernadotte ni par ses panégyristes, — les uns le considérant comme pressé de trahir son protecteur et son ancienne patrie, les autres n’admettant pas ses premières tergiversations et lui prêtant, avec une sage prévision de l’avenir, un système conçu tout d’abord et la gloire entière de l’initiative. Invoquons donc des témoignages authentiques, empruntés, comme les précédens, à la source féconde des correspondances d’état.

Les dépêches de M. Alquier nous sont ici précieuses. Impérieux et altier comme son maître, ce ministre, loin de flatter et de caresser Bernadotte, apportait dans ses relations avec lui une allure provocante en présence de laquelle l’ardeur intempérante du prince royal était impuissante à se contenir et à dissimuler. M. Alquier savait d’ailleurs les intrigues de la Russie, il savait aussi combien l’alliance suédoise pouvait être utile en cas de rupture avec Alexandre; il était donc très attentif, et sa correspondance consigne exactement toutes les dispositions apparentes du prince. D’ailleurs nous consulterons aussi d’autres documens qui paraîtront sans doute empreints d’un caractère de bonne foi incontestable : ce sont les dépêches du ministre de Prusse à Stockholm, que le gouvernement français parvint à se procurer pendant toute cette période, et qui nous offriront un précieux moyen de contrôle.

Dès le mois de janvier 1811, Bernadotte ne sait pas cacher à M. Alquier ses rapports avec la Russie. Comme celui-ci lui représentait combien il devait tenir à l’alliance française, et ce qu’il aurait à craindre en cas de guerre de son redoutable voisin : « Oui-dà, répondit-il d’un air narquois et d’une manière, dit plaisamment M. Alquier, qui ne devait pas flatter mon amour-propre, vous croyez que