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rapports ne continuèrent pas longtemps. D’un côté, Napoléon ne ménageait pas l’amour-propre de Bernadotte, aux propositions duquel il accordait à peine une réponse ; M. Alquier restait lui-même des mois entiers sans instructions de son gouvernement, et les corsaires français désolaient pendant ce temps-là le commerce et la marine suédoise. De l’autre, les relations frauduleuses de la Suède avec l’Angleterre n’avaient fait que s’étendre sur une plus grande échelle, et Gothenbourg devenait déjà un lien commode entre les Anglais et les Russes. M. Alquier recommença donc à se plaindre, et le ton de ses plaintes affecta bientôt les prétentions, la hauteur d’un proconsul romain. Il voulut d’abord que Bernadotte fit renvoyer du cabinet M. d’Engeström ; il était peu convenable, à son gré, que le ministère suédois vît à sa tête un homme aussi hostile au système de l’empereur. Bernadotte lui répondit que ce ministre avait la confiance de son souverain, qu’il était dévoué à sa patrie, et que cela suffisait ; si un ordre de l’empereur avait fait sortir le baron Hardenberg du cabinet prussien et le baron Thugut du cabinet autrichien, il n’en serait pas de même pour le premier ministre du roi de Suède. — Ainsi repoussé, M. Alquier se borna à remettre à M. d’Engeström des notes violentes, dans lesquelles il faisait entendre que l’empereur saurait bien mettre à la raison son ancien lieutenant et réduire, comme il était convenable, son orgueil à une humble dépendance. Il osa dire dans un de ces messages que la politique du gouvernement suédois finirait par ramener les mêmes circonstances qui avaient causé la chute de Gustave IV. Une réponse sévère, dictée par le prince royal, déclara de nouveau «que si le roi de Suède avait toujours la ferme intention de s’allier étroitement à la France, il ne supporterait cependant pas qu’un agent étranger voulût lui imposer ses conseils, encore moins qu’il se permît de le menacer. » M. Alquier se tint pour offensé personnellement, il interrompit toute communication avec le comte d’Engeström, et une absence du prince royal fit traîner cette rupture en longueur.

Au retour de Bernadotte, M. Alquier demanda une audience ; il l’obtint à Drottningholm, et c’est alors qu’eut lieu une scène bizarre dont on a deux récits différens. L’auteur des Souvenirs la raconte d’après Bernadotte lui-même en termes prudens et réservés, mais nous avons un autre témoin de l’entretien du 15 août, c’est Alquier lui-même. Son récit, tel qu’il l’adresse à M. de Champagny, fournit à l’historien des preuves irrécusables et certainement toutes nouvelles du joug importun qui pesait sur Bernadotte, et de l’impatience avec laquelle il essayait de s’en affranchir sans s’exposer avant le temps à une colère qu’il redoutait. C’est une piquante peinture de caractère, que l’importance du personnage élève à la hauteur d’un sérieux document historique :