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chez lui le trait vif et la rapidité qui sont la grâce de la langue épistolaire, mais l’homme n’y dément pas le philosophe, et l’on y retrouve toujours ce sage qui, pour emprunter les paroles de M. Villemain, « s’étant partagé entre la plus minutieuse observation des faits et la spéculation la plus haute, coula ses jours en paix dans l’étude de la nature et la méditation du grand Être. »


I.

Le grand Haller ayant demandé un jour à Charles Bonnet l’histoire de sa vie, Bonnet céda au désir de son illustre ami, et, dans une suite de lettres qui n’ont jamais vu le jour, lui raconta à loisir et en grand détail les aventures de sa jeunesse. Quelles aventures! quelle jeunesse! Il n’en fut jamais de moins romanesque, mais ne disons pas de moins poétique. Qu’y a-t-il de plus poétique que l’amour de la nature, la passion de l’étude et la passion de la gloire dans un cœur de jeune homme, quand ses ardeurs sont sitôt satisfaite?

A vingt ans, Bonnet s’était déjà signalé par d’importantes découvertes en histoire naturelle, et l’Académie des Sciences le nommait son correspondant. De telles aventures ont quelque chose de rare et en valent bien d’autres. Le jeune héros en faisait honneur, non à son génie précoce, mais aux maîtres qui avaient enseigné sa jeunesse, et d’abord à l’étude des belles-lettres. « Le professeur qui remplissait alors la chaire d’humanités, écrit-il à Haller, était un homme plein de douceur, d’aménité et de goût, qui semblait avoir puisé dans le commerce des anciens cette urbanité que nous ne connaissons guère que de nom... Ce fut alors surtout que mon goût pour les bonnes choses commença à se développer et à se fortifier. Je compris mieux encore tout ce que valaient les plaisirs de l’étude. Je sentis naître au dedans de moi cette émulation, si désirable dans la jeunesse, qui n’était pas proprement l’amour de la gloire ou de la renommée, mais qui devait me l’inspirer un jour. Népos et Salluste parmi les prosateurs, Phèdre et Horace parmi les poètes, lurent mes favoris. Je m’appliquai aussi à l’histoire ancienne, et je ne la possédais pas mal. »

Bonnet fut encore assez heureux pour étudier la physique, qui l’attirait si puissamment, et la métaphysique, dont il n’avait pas le goût, sous deux professeurs qui, sans le convertir, firent servir admirablement l’une et l’autre science à l’éducation de son jugement. C’étaient Cramer et Calandrini, deux hommes d’un mérite supérieur, dont Buffon, qui avait suivi les leçons du premier pendant un séjour à Genève, conservait encore à la fin de sa vie le plus tendre