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avons déjà cité un curieux exemple, et qui dut dans les premiers temps paraître si étrange aux Suédois. Un jour du mois de septembre 1811, il fit venir pour une pareille épreuve, au château de Drottningholm, les généraux Adlercreutz, Skioldebrand et Sandels. Le premier était le héros de 1809, le second avait chaudement appuyé la candidature de Bernadotte en promettant à ses adversaires qu’il reprendrait la Finlande (on se rappelle sa devise après le traité de Frederikshamn : exoriare...), le troisième enfin était l’habile homme de guerre qui dans cette malheureuse campagne de Finlande avait ménagé à l’armée suédoise une glorieuse retraite, et que Runeberg a chanté. On comprend que ces trois hommes devaient être les adversaires naturels de la politique qu’on proposait à la Suède. Quand ils furent réunis, Bernadotte prit la parole, non sans un certain air théâtral, et soutint dans une longue harangue, digne d’une plus nombreuse assemblée, que Napoléon était un tyran qu’on devait renverser, si l’on voulait sauver la paix du monde, et que ceux-là étaient singulièrement aveugles qui n’apercevaient pas cette absolue nécessité. Napoléon avait refusé nettement, disait-il, de se prêter à la réunion de la Norvège, et c’était une grossière contradiction d’espérer quelque chose de lui, quand on ne voulait ni ne pouvait obéir au système continental. — Pour attirer la Suède dans la guerre contre la Russie, il offrait de rendre la Finlande; mais c’était, suivant l’orateur, un dangereux piège : tout effort tenté vers ce but n’aboutirait qu’à envelopper le pays dans des guerres interminables avec la Russie, qui n’abandonnerait jamais ses prétentions sur cette province...


« Quels seraient d’ailleurs pour nous les profits de son amitié? Appelez-vous un profit d’aller verser le sang de vos fils pour des intérêts qui ne sont pas les vôtres, d’être gouvernés despotiquement par une puissance étrangers, de voir vos ressources détruites, votre dignité nationale offensée, vos souvenirs, vos espérances devenus le jouet d’un maître? Nous laisserons-nous abuser par ses paroles astucieuses? Non, jurons devant Dieu et devant les ombres des grands Gustaves de transmettre à nos fils l’héritage de liberté que nous avons reçu! Que l’usurpateur de l’Europe recule devant notre inébranlable volonté de conserver notre indépendance et nos lois, et que l’humiliante résolution qu’il a cru pouvoir arracher à notre faiblesse (la déclaration de guerre contre les Anglais) lui soit renvoyée avec les mêmes qui se brisent contre les rochers du Nord !... »


Quand le prince eut achevé, Skioldebrand se leva. Né en Afrique d’un père suédois et d’une mère anglaise, Skioldebrand unissait à la franchise une simplicité noble, de l’éloquence et du feu. Il dit hardiment que si l’alliance avec Napoléon devait entraîner l’asservissement de la Suède, ce joug cesserait du moins à la mort de celui qui seul était capable de l’imposer, que l’oppression de la Russie au