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encore! Il me prend une province, 150 bâtimens sans m’honorer d’un mot!.. . Au point où en sont les choses, reprend M. de Cabre, si sa majesté impériale condescendait à se prononcer, il est indubitable que le prince s’en tiendrait à la neutralité avec l’Angleterre et la Russie... Il est triste, abattu, il rencontre des obstacles dans la conduite des affaires; les conseillers d’état, ses ministres, la noblesse, les négocians, tous blâment le but qu’on suppose à ses préparatifs de guerre et sa conduite envers la France. » M. de Cabre écrit ainsi le 18 septembre, après tous les actes de l’entrevue d’Abo, qu’il ignore! Il apprend quelque temps après le premier article de la convention du 30 août, sans être informé que Bernadotte a renoncé au secours immédiat des 35,000 Russes qu’on lui avait promis, et il écrit le 22 septembre : « Les Russes qui devaient venir en Scanie n’arrivent point. Le prince disait hier : Si ces drôles-là ne viennent pas d’ici à quelques jours, je ne suis plus engagé à rien, et je me tournerai contre la Norvège ou contre Sélande. » Mais quoi ! Bernadotte ne savait-il donc pas bien ce qu’étaient devenus ces auxiliaires? — « Le prince, écrit M. de Cabre le 26 septembre, a dit à M. Fournier : Quoi qu’il arrive, j’aurai une partie de la Finlande... Au point où en sont les choses, que l’empereur me donne la Norvège, et il peut encore disposer de moi; mais il m’a humilié en me prenant la Poméranie sans aucun ménagement, je ne puis m’y soumettre. Obtenez un arrangement quelconque qui efface aux yeux des Suédois l’affront que j’ai reçu; il sera facile à l’empereur d’indemniser le Danemark... »

Dirons-nous cette fois encore, dans notre désir d’être impartial, que ces dernières affirmations pouvaient être sincères, ou bien que Napoléon devait prendre au mot Bernadotte, sincère ou non? Ce serait être dupe. Bernadotte pouvait-il effacer, quand il l’aurait voulu, le mal qu’il avait déjà fait: les résolutions d’Alexandre, d’abord si vacillantes, affermies; l’ennemi informé à l’avance des manœuvres ordinaires de la tactique napoléonienne, fort de toute l’expérience d’un général français, d’une connaissance intime des qualités et des défauts de nos soldats : de leur ardeur, qu’on essaiera d’amortir en faisant traîner la guerre; de leur impétuosité, à laquelle on tendra des pièges en leur présentant vainement des batailles; de leur soif de gloire, à laquelle on opposera, suivant la recommandation expresse de Bernadotte, une abdication complète de tout amour-propre militaire? La paix de Bucharest une fois signée, grâce à la seule intervention suédoise, et Wittgenstein fortifié par le seul fait de Bernadotte, Pétersbourg était sauvé et notre retraite coupée; tout le mal était fait. Bernadotte dissimulait lorsqu’il parlait encore après cela de réconciliation, d’affection pour la France et de dévouement à