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produits. Après la Chine, ce fut l’Inde, puis la Perse, qui y déploya un art savant, et resta longtemps sans rivale. Déjà ce n’était plus une industrie au berceau; le prestige des dessins, la science des couleurs, relevaient ces étoffes et les faisaient rechercher du monde civilisé. Il y avait des manufacturiers en crédit; il y avait aussi des facteurs, c’étaient les Phéniciens, dont les caravanes franchissaient l’Euphrate et le Tigre, et, après de laborieuses étapes, rapportaient sur le littoral de la Méditerranée ce précieux et lucratif butin. Curieuse histoire que celle-là, si des documens précis permettaient de l’écrire ! On y aurait une fois de plus la preuve que rien n’est nouveau sous notre ciel, et que là où nous croyons inventer, nous ne gommes que des copistes. Malheureusement les Persans et les Phéniciens étaient des gens d’affaires, plus occupés d’eux-mêmes que de la postérité, et n’ayant ni le loisir ni le goût de mettre le public dans la confidence de leurs opérations. Tout ce qu’on en peut dire, c’est que, pendant plusieurs siècles, le trafic de ces étoffes appartint à Sidon et à Tyr, et que le bénéfice le plus net en resta, comme toujours, entre les mains des intermédiaires.

On sait quel coup violent porta à l’industrie et aux arts la chute des deux grandes civilisations païennes. Les tribus du nord de l’Europe, restées maîtresses du terrain, ne poussaient pas bien loin le raffinement en matière de costumes; les dépouilles d’animaux leur étaient plus familières que la soie, et convenaient mieux à leurs corps robustes. Il y eut donc, aux jours de la décadence, soit par la ruine des vaincus, soit par la rudesse des vainqueurs, une sorte d’abandon de ces objets de luxe que l’Asie fournissait à l’Europe pour l’usage des consommateurs opulens. Le premier réveil de l’industrie et du commerce des soieries ne date que du VIe siècle, dans la belle époque de l’empire byzantin. Sous Justinien, deux moines grecs, arrivant des Indes, introduisirent à Constantinople, avec des œufs de vers à soie, l’art de les élever et d’en tisser les produits. Ce voyage, s’il faut en croire la chronique, ne s’accomplit ni sans précautions ni sans difficultés: l’Asie défendait son secret, et pour dérober aux regards une proie si enviée, il fallut la cacher dans des bambous creux et la nourrir en chemin. Est-ce là un fait authentique ou un roman? Quoi qu’il en soit, ce fut dès lors une conquête assurée, dont le génie européen ne devait plus se dessaisir, et qu’il allait pousser jusqu’aux limites où nous la voyons parvenue. Déjà Byzance, à peine à l’œuvre, éclipsait la Perse par la beauté de ses étoffes. On les recherchait, on y mettait de hauts prix, cinq ou six écus d’or pour les couleurs communes, vingt ou vingt-cinq écus d’or pour les couleurs fines, et c’est de là sans doute que nous sont venus ces riches ornemens d’église, ces chasubles, ces étoles, dont les formes et les dispositions ont