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l’arbitraire devenait le contrepoids du privilège; l’industrie ne s’appartenait plus. Triste spectacle et dure leçon! De pareils exemples devraient convertir les plus incrédules et dissiper les illusions, même les plus invétérées.

Cependant, grâce à la guerre et au blocus européen, l’industrie des soieries reprit quelque activité en Angleterre de 1798 à 1816 : la contrebande avait désarmé, c’était la marine militaire qui faisait la police des mers; mais, dès le retour de la paix, la souffrance reparut et avec une énergie telle que, bon gré mal gré, il fallut écouter les conseils de l’expérience et du bon sens. Un ministre éminent, Huskisson, entreprit cette réforme. Rompant avec le passé, il demanda à la liberté ce qu’on avait en vain demandé au privilège, fit abolir l’acte de Spitalfields, et remplaça la prohibition par des droits modérés. Les fabricans criaient à la ruine, ce fut la fortune qui leur arriva. L’industrie, jusque-là inerte, se réveilla comme sous un coup de fouet; concentrée naguère dans une ou deux villes, elle se répandit dans vingt ou trente localités, Coventry, Macclesfield, Manchester, Paisley, Leck, Derby, Norwich et autres. Tous les environs de Londres, tout le Lancashire eurent leurs ateliers; on tissa la soie partout où l’on tissait le coton et la laine. Au moment où Huskisson fit prévaloir ces projets, en 1824, il n’y avait dans tout le royaume-uni que 24,000 métiers battans; en 1829, cinq ans après, on en comptait 50,000. Depuis lors et sous l’empire de droits graduellement réduits et à peine sensibles, le mouvement s’est continué dans le même sens et avec une puissance toujours accrue. Aujourd’hui la Grande-Bretagne a cent mille métiers occupés. Elle admet, il est vrai, pour 70 millions de nos soieries et de nos rubans, mais ses fabriques, qui, sous l’empire de la prohibition, employaient à peine un million de kilogrammes de soie, en emploient maintenant trois millions de kilogrammes, entrant en pleine franchise : tant il est vrai que l’activité appelle l’activité et qu’en se montrant libéral vis-à-vis des autres, un peuple sert moins leurs intérêts que les siens et fait encore le meilleur des calculs!

Auprès de l’Angleterre, les autres états ont une situation un peu effacée, et leur histoire n’offre pas cet intérêt économique. Celle de la Suisse, toute modeste qu’elle est, renferme pourtant plus d’un enseignement. Voilà un petit pays qui semble bien maltraité par la nature; il n’a rien de ce qui rend les autres si intolérans et leur inspire l’orgueil et la prétention de se suffire. Il n’a ni le fer, ni le coton, ni la soie, ni le charbon, ni même le blé pour se nourrir; il n’a point de bâtimens pour expédier au loin ses produits, ni déports où les matières premières puissent arriver à peu de frais; il n’a ni traités de commerce à passer ni douaniers armés pour se défendre;