Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas mieux ce qui constitua l’essence des facultés de notre âme, et je déplorais le temps que mes amis perdaient à discourir sur des sujets si creux. Je leur disais en haussant les épaules qu’ils apprendraient plus de vérités en se plaçant un quart d’heure à mon microscope qu’en discourant des mois sur les substances et sur les attributs. »

Maintenant il ne tenait plus le même langage, et les vérités qu’il cherchait du regard de la pensée dans les profondeurs de l’âme humaine offraient à sa curiosité un attrait bien autrement puissant que les mœurs des chenilles et le célibat fécond de ses puceronnes solitaires. Les faits nouveaux dont Bonnet a enrichi les sciences naturelles sont sûrs et prouvés. « Je sais, lui disait le président de Brosses, que vous mettez dans la physique la même exactitude et la même droiture que dans la morale, et qu’il n’est pas besoin de répèter une expérience que vous avez faite. » Les découvertes qu’il espérait avoir faites en psychologie ne sont au contraire que des systèmes sujets à contradiction, comme tous les systèmes de métaphysique : personne aujourd’hui n’y va chercher son flambeau pour éclairer ces éternels mystères; mais aussi à quelles hauteurs ne s’est pas élevée l’intelligence de Bonnet dans cette contemplation intérieure qui, de vue en vue, d’induction en induction, acheminant sa raison vers les convictions les plus consolantes, lui faisait rejoindre à la fin sur les sommets de la philosophie les enseignemens du christianisme, les persuasions et les espérances de la foi! Et de son temps, combien d’âmes ébranlées n’a-t-il pas consolées et raffermies avec lui, combien d’esprits n’a-t-il pas enlevés au scepticisme et à l’incrédulité? Quelles que soient les erreurs de la route, de tels résultats valent bien les conquêtes du microscope. Respectons la joie de Bonnet à la vue du monde intérieur que la métaphysique ouvre à son intelligence.

Toutefois, comme tant d’autres avant lui, il entra par le doute dans ces pays nouveaux. A la suite d’un entretien qu’il eut avec des amis sur la grande matière de la liberté humaine, il ne put s’empêcher de rêver sur les sources des déterminations de notre âme. Effrayé de la rigueur des principes vers lesquels il se sentait entraîné et qui lui semblaient porter atteinte à cette religion, sa meilleure consolatrice, « que les services qu’il en recevait chaque jour lui rendaient plus chère, » il envoya ses réflexions à Gabriel Cramer, alors établi à Paris, dans l’espérance que son ancien professeur lui déferait son propre ouvrage. La réponse de Cramer était de nature à rassurer son disciple, mais c’est à Leibnitz que Bonnet dut à la fois et l’apaisement de ses doutes et la révélation de son aptitude pour les méditations de la philosophie. Il a raconté lui-même ce qu’il