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combinaisons mal connues[1]? M. Sainte-Glaire Deville a du reste fort bien expliqué, avec tout le respect dû à la réputation, à la science, à l’habileté de M. Vöhler, comment les erreurs de ce chimiste ont été possibles. Il a montré que le métal obtenu par M. Vöhler était loin d’être pur; s’il était moins fusible que l’aluminium que nous connaissons aujourd’hui, c’est qu’il avait été préparé dans des vases de platine, que ces deux métaux s’étaient alliés, et que la platine avait communiqué à l’alliage quelque peu de son infusibilité. S’il décomposait l’eau à une température peu élevée, c’est qu’il n’était pas débarrassé du potassium ou du sodium qui avaient servi à sa préparation, ou peut-être qu’il contenait un peu de chlorure d’aluminium, dont les réactions expliquent un dégagement d’hydrogène. M. Deville a même fait, en suivant les indications de M. Vöhler, un aluminium qui avait toutes les propriétés indiquées par celui-ci, et dont l’impureté a été ensuite vérifiée. Rien ne prouve mieux les difficultés en quelque sorte inséparables des travaux de la chimie que ces erreurs où l’expérience et le raisonnement avaient entraîné un homme aussi habile et aussi instruit. Loin d’en tirer des conclusions contre M. Vöhler, il faut se contenter de dire avec Hippocrate : « L’art est long, la vie est courte, l’expérience est incertaine, le raisonnement est difficile. »

N’y a-t-il pourtant là qu’une erreur d’expérience rectifiée par un observateur plus habile, qu’une illusion des sens détruite, ou même, ce qui serait plus important, une atteinte portée à la classification des métaux, une preuve qu’on doit ranger l’aluminium auprès du fer et du cobalt et loin du calcium? La découverte de M. Sainte-Claire Deville prouve-t-elle que la classification des métaux tout entière est mauvaise, et qu’il faut renoncer à diviser ces sortes de substances en groupes, ou tout au moins que ces groupes doivent être modifiés? Nous pensons qu’elle a des effets plus importans encore, et que les propriétés si inattendues de l’aluminium troublent des idées que leur simplicité avait rendues évidentes, en montrant une fois de plus combien les inductions les moins hardies et qui paraissent les plus permises sont peu certaines, quels que soient les faits qui les appuient. Nous avons dit que dans la classification des métaux on avait consulté non pas seulement leur avidité pour l’oxygène, mais la ténacité de leurs combinaisons avec ce corps. Ces deux propriétés paraissaient corrélatives, et il semble d’une manière générale que plus deux corps tendent à se combiner, plus leur affinité est grande, plus aussi leur combinaison doit être stable. Ce n’est pas là une loi de la chimie, elle n’est écrite nulle part

  1. Voyez, sur les théories de M. Laurent, la Revue du Ier février 1855.