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sentent autrement que nous et ont une autre tournure de pensée. Ce n’est point sur les nations slaves : de ce côté, nous ne pouvons agir que par l’épée; nous n’aurons peut-être jamais chez elles, et en tout cas de longtemps, que l’influence que donne la crainte. Mais en Italie nous n’avons pas à nous faire redouter, et nous sommes sûrs de ne rencontrer aucune de ces oppositions de race, de langage, de traditions, qui sont autant de barrières morales infranchissables. Là notre influence peut se déployer à son aise, et s’il est aussi nécessaire à un peuple d’avoir une action morale à exercer qu’une armée pour faire respecter ses frontières, on peut voir de quelle utilité l’Italie est pour la France.

Si l’Italie nous est utile, les règles les plus simples d’une politique, même égoïste, sont de veiller sur elle, de la protéger et de l’aider contre ses ennemis; mais ce n’est pas seulement un intérêt pour la France, c’est un devoir qui lui est commandé par la politique qui doit régir les nations chrétiennes. Précisément parce que l’Italie est le théâtre naturel de l’action morale française, et que l’esprit de la France y peut être plus facilement compris qu’ailleurs, la France a jusqu’à un certain point charge d’âmes en ce pays. Je crois sincèrement que, si l’Italie doit être régénérée, elle ne peut l’être que par la France. C’est en vain qu’elle essaiera, comme elle l’a fait dans les dernières années, de s’assimiler les idées anglaises, c’est en vain qu’elle essaiera de pénétrer les systèmes allemands : il y aura toujours là pour elle des énigmes qu’elle ne trouvera jamais chez nous, et ici nous touchons à un des faits les plus curieux de la politique contemporaine, c’est-à-dire à l’influence de l’Angleterre sur l’Italie.

Certes, s’il est un pays dont l’esprit soit différent de l’esprit italien, c’est bien l’Angleterre, et cependant l’influence anglaise n’a fait que grandir au-delà des monts, pendant que l’influence de la France baissait sensiblement. Pourquoi? Parce que l’Angleterre a pris en Italie le rôle qui aurait dû être celui de la France. Pendant que nos hommes politiques s’inclinaient devant cette école de diplomates qui trouvent que la péninsule est une belle idée géographique, pendant que notre clergé et nos catholiques allaient en pèlerinage à Rome et revenaient sans se douter qu’il y eût dans ce pays autre chose que des prêtres, des cardinaux, une cour pontificale; pendant que nos artistes et nos poètes allaient en Italie pour n’y rien voir que des musées et des églises, les Anglais parcouraient cette terre et y découvraient que l’Italie contenait encore des Italiens. Nous rendrons volontiers cette justice à ce grand peuple anglais, que dans ces dernières années il a véritablement découvert le peuple italien et a déclaré au monde que la manière dont il était traité était