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réellement indigne, qu’il y avait mieux à faire de lui et de ses nobles facultés. Notre grand crime, à nous tous Européens, est d’avoir considéré l’Italie comme une institution européenne, et de n’avoir jamais voulu y voir un peuple et une nation. Il entre encore beaucoup de souvenirs du moyen âge dans notre manière de considérer l’Italie, et la papauté et le saint empire occupent encore beaucoup trop peut-être nos imaginations. Dans un autre ordre de faits, depuis trop longtemps déjà notre politique au-delà des monts a été plutôt une politique d’intervention qu’une politique d’influence, et lorsque nos armées sont entrées en Italie, c’était moins afin de protéger les Italiens que de nous protéger nous-mêmes. Il s’agissait avant tout d’empêcher l’Autriche d’aller trop loin. Au milieu de toutes ces luttes, nul ne songeait au peuple italien, et lorsqu’on y songeait, c’était pour dire (on l’a déclaré à haute voix à la tribune française) que le peuple italien ne s’appartenait pas, et que le sol italien était un sol cosmopolite.

La politique anglaise a été diamétralement contraire. Dégagée par sa position insulaire des intérêts compliqués qui se débattent en Italie, libre par son caractère protestant des passions qui s’agitent autour de la papauté, l’Angleterre était mieux en position qu’aucune autre puissance européenne de voir des Italiens en Italie, et elle a fait réellement, nous le répétons, cette découverte. Personne n’a mieux parlé et plus affectueusement de l’Italie que les poètes modernes de l’Angleterre, personne n’a parlé plus souvent de ses souffrances que les hommes d’état de l’Angleterre. Toute consolation est bonne dans le malheur, les Italiens en ont été reconnaissais. Ils se sont retournés du côté de l’Angleterre pour chercher la protection que leur refusait l’Europe, et ont appris à compter plutôt sur elle que sur toute autre nation pour leur délivrance. Ce ne sont point seulement les classes cultivées de la nation qui ont subi cette influence, ce ne sont pas seulement les écrivains, l’aristocratie, les réfugiés politiques : des faits récens ont montré que cette influence s’était étendue jusqu’aux dernières couches du peuple. Ces monstrueuses affaires de protestans italiens condamnés pour avoir lu la Bible en sont la preuve. Que ce peuple artiste, amoureux de ses madones, en soit arrivé à accepter la Bible des mains d’un prédicant de l’église anglicane, ce fait seul suffit pour indiquer l’intensité de la maladie, et la puissance d’action que l’esprit anglais s’est acquise sur l’esprit italien. Il y a aussi une énergie désespérée fort remarquable chez ce malade qui, pour se guérir, ne craint pas d’avoir recours à des remèdes antipathiques à sa nature. Mais si l’Angleterre a pu se créer un tel empire sur cette nation, qui a si peu de ressemblance avec elle, quelle influence la France n’aurait-elle pas pu exercer!