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Sicile en particulier, souvent agitée par des causes diverses, lui donnera toujours de grands embarras quand on y verra les relations du cabinet avec la France et L’Angleterre incertaines et difficiles.

À L’autre extrémité de l’Italie, un gouvernement qui fait un heureux contraste avec celui de Naples n’a pu cependant éviter par la prudence et la correction de sa conduite une sorte de rupture diplomatique, qui d’ailleurs n’ira probablement pas plus loin, avec la cour de Florence. C’est un incident regrettable, moins en lui-même, il est vrai, qu’en ce qu’il montre le côté faible de la situation de la péninsule ; ni la marche du temps ni Les changemens qu’il amène n’effacent les souvenirs de 1848, et Le cabinet de Vienne continue à y faire sentir tout le poids de ses ressentimens ainsi que ses prétentions à une influence trop exclusive. En effet, si nous sommes bien informés, ce serait sur les conseils assez impérieux de l’Autriche que l’admission du jeune comte Casasi à Florence, en qualité d’attaché à la légation sarde, aurait été rétractée d’une manière insolite, alors que le cabinet de Turin ne prévoyait plus de difficulté à la cour grand-ducale, et quand il était disposé à prévenir bientôt tout embarras par une mesure vraiment conciliante qui n’aurait rien coûté à sa dignité. Il y a donc toujours là un point assez sombre que l’affermissement de notre alliance avec l’Autriche devrait éclaircir, en triomphant à Vienne de préventions trop opiniâtrement conservées.

La vie publique a de singuliers contrastes. À côté de la guerre, de ses péripéties et de ses succès, c’est ce triste et vulgaire complot qui vient de se dénouer devant la cour d’assises d’Angers. Là, l’entraînant héroïsme, la mâle abnégation d’une armée fière de combattre et de vaincre pour la France, ici une multitude ameutée qui tente de se jeter la nuit sur une ville paisible. Il y a dans une telle affaire toute une partie qui est naturellement du domaine de la justice ; il y en à une autre qui a un sens politique. Voici une affiliation qui étend son réseau sinistre sur une population tout entière, et qui parvient à discipliner toutes les passions, toutes les convoitises, tous les instincts de révolte. On lui donne le nom bizarre de la Marianne ; c’était le nom que les paysans de certaines contrées donnaient en 1848 à feu la république elle-même en signe de dérision. Qui tient les fils de l’association ? Là est le mystère. Toujours est-il que ces obscurs sectaires, liés par un serment, se séparent de leur foyer et de leur travail, c’est-à-dire de la vie réelle, de la vraie société, pour former une société à part et pour se tenir à la disposition du premier mot d’ordre parti on ne sait d’où. Le jour venu, le mot d’ordre donné, il faut qu’ils se trouvent prêts à répondre et qu’ils marchent. Beaucoup obéissent à la peur, d’autres cèdent à une sorte de funeste émulation, Que vont-ils faire cependant ? La plupart l’ignorent à coup sûr. Les habiles seuls le savent peut-être ; ce sont les personnages qui d’avance se distribuent les emplois et ont marqué leur place à la préfecture. Les natures perverses marchent à l’odeur du pillage, qui va devenir le droit commun. Le prétexte d’ailleurs ne saurait manquer : c’est la cherté des subsistances ou le taux des salaires, et la troupe, grossie de six ou sept cents hommes, se précipite vers Angers pour aller fonder le gouvernement de son choix, pour accomplir la grande révolution démocratique et sociale avec une bonne provision d’outils suspects. Puis au premier choc de quelques agens de police ou au simple aspect de quelques soldats tout s’ébranle, tout se disperse, et