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L’antipathie si vive qui respire dans toute l’histoire hébraïque contre Chanaan n’est point une raison pour soutenir que nulle influence n’a pu s’exercer de Chanaan sur Israël. Le parti pris des Hébreux de ne pas reconnaître les Chananéens pour leurs frères ne les a-t-il pas portés à retirer les Chananéens de la race élue de Sem pour les rejeter dans la famille infidèle de Cham, contrairement au témoignage évident du langage[1] ? Ces haines de frères n’ont nulle part été plus fortes que dans la race juive, la plus méprisante et la plus aristocratique de toutes. Sans admettre, avec quelques savans, que les Hébreux et les Chananéens aient en pendant longtemps une religion à peu près identique, il faut avouer que ce n’est qu’à une époque relativement moderne que les premiers arrivèrent à cet esprit d’exclusion qui caractérise les institutions mosaïques. Plusieurs données de la religion phénicienne se retrouvent dans l’ancien culte hébreu : à l’époque patriarcale, on voit les abrahamides accepter pour sacrés les lieux et les objets que les Chananéens prenaient comme tels, arbres, montagnes, sources, bétyles ou beth-el[2].

D’impénétrables ténèbres couvrent pour nous le premier mouvement religieux d’Israël, celui dont Moïse fut l’hiérophante et le héros. Autant il serait contraire à la saine critique de rapporter à ces temps antiques l’organisation compliquée que nous voyons décrite dans le Pentateuque, organisation dont on ne trouve pas de trace à l’époque des juges, ni même du temps de David et de Salomon, — autant il serait téméraire de nier qu’Israël, en sortant de l’Égypte, ait subi l’action d’un grand organisateur religieux. Les Abrahamides paraissent avoir gardé en Égypte toute l’originalité de leur génie sémitique : en rapports continuels avec les autres tribus térachites de l’Arabie-Pétrée, ils purent, sous l’impression d’une vive antipathie contre l’idolâtrie égyptienne, concevoir une de ces réactions monothéistes si familières aux peuples sémitiques, et d’ordinaire si fécondes. Toute religion est portée à fuir son berceau : le mouvement dont nous parlons, qui parait avoir eu son foyer principal dans la tribu de Lévi, fut suivi d’une sorte d’hégire ou émigration et d’une époque héroïque qui prit dans l’imagination des siècles plus modernes les proportions de l’épopée. Le Sinaï, la montagne sainte de toute la région où se passa ce grand acte, fut le point auquel la révélation s’attacha. Un nom sacré de la Divinité renfermant la notion du monothéisme le plus élevé, deux tables sur lesquelles étaient inscrits dix préceptes de la meilleure morale, quelques aphorismes qui formaient avec les dix préceptes la loi de Jéhovah, des rites simples et accommodés à la vie d’un peuple nomade, tels que l’arche, le tabernacle,

  1. La langue phénicienne était de l’hébreu presque pur.
  2. Ce nom désigne des pierres sacrées auxquelles on attribuait des vertus divines.