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vraiment l’hégémonie de la nation. L’idée d’une monarchie israélite jaillit un moment être réalisée par Ephraïm[1]. Après la mort de Saül, nous voyons cette tribu grouper autour d’elle toutes les tribus du nord, opposer sans succès Isboseth à David, l’habile et heureux champion des prétentions de Juda, enfin, après la mort de Salomon, faire triompher ses tendances séparatistes par le schisme du royaume d’Israël et l’avènement d’une dynastie éphraïmite. Parmi les chefs des ouvriers que Salomon faisait travailler à la construction de la terrasse entre Sion et Moria, il remarqua un robuste jeune homme d’Ephraïm, dont l’air intelligent le frappa et auquel il donna une fonction importante dans son administration. C’était l’homme destiné à porter un coup mortel à la maison de David. Jéroboam leva, du vivant même de Salomon, l’étendard de la révolte : les embarras financiers qui suivirent la mort du grand roi lui fournirent une excellente occasion pour consommer une séparation devenue inévitable.

On ne saurait dire que le schisme des dix tribus ait été, au point de vue de la destinée générale du peuple hébreu, un sérieux malheur. Réduit à un espace de quinze lieues de long sur vingt de large (l’étendue d’une sous-préfecture), Juda, abandonné à lui-même, s’épure et s’exalte ; ses idées religieuses se développent et se compliquent. Le nord au contraire, livré à des dynasties brutales et en proie à de continuelles révolutions, fut de bonne heure annulé : la tradition religieuse s’y affaiblit. Durement repoussées par les Juifs dédaigneux de Jérusalem, quand elles voulurent après la captivité rebâtir le temple avec eux, ces populations déshéritées ne firent guère que copier de loin les institutions de Juda. Elles prirent leur revanche par le christianisme. Le Christ trouva ses plus nombreux disciples dans ces provinces méprisées, mal famées pour l’orthodoxie, et en ce sens on pourrait affirmer que Samarie a eu autant de part que Jérusalem à l’œuvre capitale d’Israël. Cette antique fraction du peuple hébreu, qui, si elle n’a pas eu la destinée brillante de Juda, l’a presque égalé par sa persévérance et sa foi, est de nos jours à la veille de s’éteindre, et offre au monde le singulier spectacle d’une religion qui va mourir. Les persécutions, la misère et le prosélytisme des sectes plus puissantes, surtout des missions protestantes, menacent à chaque instant sa frêle existence. En 1820, les Samaritains étaient encore au nombre d’environ cinq cents. Robinson, qui visita Naplouse (l’ancienne Sichem) en 1838, n’en trouva plus que cent cinquante. Dans une supplique qu’ils adressèrent au gouvernement français en 1842, ils avouent qu’ils sont réduits à quarante familles. Leur vieux prêtre, Salamé, fils de Tobie, qui correspondit

  1. Voyez le récit de la tentative d’Abimélech (Juges, ch. IX).