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des agitations intérieures[1]. On les vit sur les ruines de Jérusalem maintenir leur obstination et triompher presque des désastres qui réalisaient leurs prédictions. Une politique vulgaire les condamnerait et les rendrait en grande partie responsables des malheurs de leur patrie ; mais le rôle religieux du peuple juif devait toujours être fatal à son rôle politique ; Israël devait avoir le sort de tous les peuples voués à une idée, et promener son martyre à travers les dédains du monde, en attendant que le monde rallié vint lui demander en suppliant une place dans Jérusalem.


IV

La captivité n’atteignit qu’un assez petit nombre des habitans de la Palestine ; mais elle frappa la tête de la nation et la classe entière où résidait la tradition religieuse, en sorte que l’esprit tout entier de la Judée se trouva transporté à Babylone. Telle est la cause qui fit éclore sur les bords de l’Euphrate les plus belles productions du génie hébreu, ces psaumes si touchans qui vont à l’âme, l’enchantent et la pénètrent de tristesse et d’espérance, ces incomparables odes prophétiques qu’on a ajoutées à la suite des œuvres d’Isaïe[2]. Il se forma dès lors à Babylone, ou pour mieux dire dans les petites villes groupées autour de cette grande cité, comme une seconde capitale du judaïsme. Les restaurateurs des institutions et des études anciennes en Judée, comme Esdras et Néhémie, viennent de là, et s’indignent à leur arrivée de l’ignorance et de la corruption de langage de leurs coreligionnaires de Palestine. Après la destruction de Jérusalem par les Romains, Babylone deviendra de nouveau le centre principal de la culture intellectuelle d’Israël, en sorte qu’on peut dire que deux fois la continuation de la tradition juive s’est faite par Babylone, à la suite des deux grandes catastrophes qui, à sept siècles de distance, ruinèrent entièrement le judaïsme à Jérusalem.

Je ne sais s’il y a dans l’histoire de l’esprit humain un spectacle plus étrange que celui dont Babylone fut témoin au Vie siècle avant l’ère chrétienne. Ce petit groupe d’exilés perdu au milieu d’une foule profane, sentant à la fois sa faiblesse matérielle et sa supériorité intellectuelle, voyant autour de lui le règne brutal de la force et de l’orgueil, s’exalte et atteint le ciel. De tant d’oracles divins non encore accomplis, de cet amas d’espérances trompées, de cette lutte de la foi et de l’imagination contre la réalité, naquit la pensée du Messie. En présence de l’iniquité triomphante, Israël en appela au grand jour de Jéliovah et s’élança résolument dans l’avenir.

  1. Voyez, par exemple, Jérémie, ch. XXXVI.
  2. Ch. LX-LXVI. Les plus fortes preuves établissent que ces morceaux ne sont pas d’Isaïe, mais bien du temps de la captivité.